41. L'art sauvera le monde : Opération Amazing Violence

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« Gabriel, ch'uis pas sûr que de nous pousser à sécher les cours pour tes délires le jour de la rentrée soit une bonne idée. Adfond va encore criser, je sais qu'tu t'en fous, maintenant, mais c'est toujours notre dirlo, à nous... Et puis, franchement, ramener une bande de blacks et d'arabes dans un des collèges les plus friqués de Paris, c'est un coup à voir débarquer les keufs ! »

Djibril était terrorisé à l'idée de ce que son ami prévoyait de lui faire faire. Tout Léon Blum avait une dette d'honneur envers le jeune artiste. Il avait profité de la fin des vacances pour leur demander de la payer. Il n'y avait eu qu'une seule répétition de cette représentation unique et magistrale, la veille au soir. Intrigués par le message Facebook du châtain, ils avaient été nombreux à faire le déplacement, et presque tous avaient accepté de jouer le jeu en découvrant les idées loufoques du magnifique. La simple idée d'amener un peu de banlieue dans un collège de bourges avait suffi à les convaincre de sécher leurs propres cours. Et puis, il fallait bien l'avouer, Paname, c'est plutôt classe comme coin. Et foutre le bordel dans le quartier de Saint-Germain, c'est carrément kiffant.

Outre le petit Maghrébin timoré qui se planquait derrière son modèle, on trouvait du beau monde dans cette bande. Ana et Nicolas, main dans la main, étaient aux avant-postes à côté de Rachid, de Vanessa et de Khoudia. Le jeune Gaëtan et son chien Nestor étaient aussi présents et même Issa, pour lequel Gabriel affichait toujours un certain mépris, s'était joint au groupe. Au total, il y avait bien une quinzaine de personnes, toutes impliquées aux premiers postes dans la guerre de l'année passée.

Devant les portes de Sigismond, Gabriel souriait, sa casquette rouge vissée à l'envers sur la tête et son sac sur le dos. Ce plan, Amazing Violence, était l'exact opposé de celui qu'il avait monté l'année dernière. Cette fois-ci, pas de dégradation en cachette. Non, ce qu'il voulait réaliser, c'était de l'art visuel. Il ne pouvait malheureusement pas y arriver seul. C'était ce qui l'avait poussé à quémander l'aide de ses anciens camarades. Tout était prêt. Il savait où brancher la sono pour lancer les accompagnements sons et voix que les copains du conservatoire avaient accepté d'enregistrer. Il n'y avait plus qu'à se lancer.

« Attendez mon signal dehors, puis ensuite... Rock n' roll »

Il entra seul, en premier, dans la cour de Sigismond. Madame Duchêne et sa classe étaient déjà là. Uriel se cachait derrière la professeure tandis qu'Hubert rouspétait à cause de l'attente trop longue à son goût dans le froid de cette fin d'hiver. Les jeunes ne savaient pas pourquoi ils étaient là. Madame Duchêne non plus, d'ailleurs, mais elle frétillait d'impatience. Son excitation visible avait intrigué certains de ses collègues qui regardaient par la fenêtre plus qu'ils ne faisaient cours. De son bureau qui donnait sur la cour, Gustin observait, lui aussi, ce qui allait arriver. La professeure d'arts plastiques avait préféré le prévenir que quelque chose allait se passer. Il aurait voulu l'interdire, mais la curiosité l'en avait empêché. Enfin, au courant du plan de Gabriel, Maxime avait traîné Alicia par le bras et tous deux s'étaient logés aux avant-postes pour ne rien manquer de la scène.

En sifflotant, l'artiste brancha rapidement tout ce qui était nécessaire à ce son et lumière puis rejoignit le centre de la cour, simplement armé de son violon. Malgré le froid, son sang bouillonnait d'excitation. Les jambes légèrement écartées, il se tenait droit et fièrement. Ses baskets usées et son jean troué, ses mitaines en cuir à scratch et sa casquette écarlate à l'envers lui donnaient un air de petite racaille. Et pour faire comprendre à l'assemblée qu'elle avait bien affaire à un véritable rebelle, il fit voler son gilet et son t-shirt, affichant sans peine son torse nu et même son nombril. Si Gabriel avait fait le choix de cette demi-nudité, c'était pour montrer sa solidarité avec Uriel qui avait été forcé à bien pire. Depuis qu'il était un homme, il s'en foutait de montrer à la vue de tous la partie la plus sacrée de son organisme. Cela n'avait plus la moindre importance à ses yeux. Son visage n'avait jamais été aussi souriant et apaisé au moment de faire une grosse connerie. Voir tous les regards braqués sur lui le rendait fou et frénétique, dans le sens le plus onctueux du terme. C'était juste délicieux. Il ferma quelques instants les paupières jusqu'à ce que le silence se fasse et que la musique d'accompagnement démarre. C'était l'air d'introduction de la comédie musicale Notre-Dame de Paris, « Le temps des cathédrales ». Armé de son archet, de son violon et de sa petite voix de fausset, il entonna sa propre version.

GabrielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant