5. Jeune artiste en terre hostile

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Le cours suivant était celui d'art plastique. Le premier de l'année. La professeure, Madame Pic, avait l'apparence d'une vieille dame particulièrement acariâtre avec des lunettes ovales et des cheveux grisonnants. Surtout, elle semblait n'avoir aucun talent particulier pour l'art, ce qui expliquait qu'elle préférât l'enseigner aux collégiens plutôt que d'en vivre par ses propres productions. Pour cette première heure, elle laissa quelques dizaines de minutes à ses jeunes élèves pour réaliser une œuvre de leur choix, le reste du temps étant consacré à une analyse collective.

Ana demanda en chuchotant à son ami aux yeux azur s'il comptait réaliser un portrait au crayon, comme il savait si bien les faire. Ce dernier rétorqua qu'user de teintes de gris était bien trop triste et qu'il avait un surnom, le magnifique, à récupérer. Cela ne pouvait se faire qu'en réalisant une œuvre au niveau qui était le sien. Se saisissant d'une boite de feutres, il se mit à dessiner une multitude de petits points les uns à côté des autres, ce qui ne manqua pas d'intriguer la fille à la peau couleur d'ébène.

« Heu, tu fais quoi ? Enfin, c'est bizarre non, tu fais des points, mais c'est pas de l'art, si ? »

« C'est du pointillisme ! Tu verras à la fin, c'est génial ! C'est exactement le même système qu'un écran de télé en moins poussé. Sur un écran, tu n'as que trois couleurs en tout et pour tout, mais quand tu mets plein de petits points les uns à côté des autres, ça te fait l'arc-en-ciel. Là, je triche, mes points sont plus gros et j'utilise tous les feutres alors que normalement, je devrais juste utiliser les couleurs primaires et complémentaires, mais à la fin, tu verras un dessin ! »

Il ne mentait pas. De son imagination fertile, tout pouvait sortir, comme cette magnifique corbeille de fruits, composée de bananes, de figues, de pommes et de poires. Bien sûr, les contours n'étaient pas parfaits, mais en prenant un peu de recul, les formes ressortaient pleinement, à tel point qu'Ana aurait voulu y goûter. Elle n'en revenait pas. À côté, son collage foireux faisait vraiment tièp. Mais ce n'était pas l'avis de Madame Pic.

« Très bien Ana ! Tu as réutilisé une technique qu'on a apprise l'année dernière ! C'est vraiment intéressant. Continue à t'appliquer et tu auras de bonnes notes. Bon, voyons donc ce que ton camarade a réalisé... », Puis, après un long silence gêné, « C'est assez moyen jeune homme, vous ne devriez pas utiliser des techniques que vous ne maitrisez pas. Ce n'est pas comme ça que vous réussirez dans ma classe, prenez exemple sur vos camarades ! »

Gabriel pouffa et, sans se démonter, répondit à la vieille mégère :

« Donnez-moi trois heures, une toile, de la peinture et un modèle, et promis, je vous ferai un truc mieux qu'un dessin au feutre ! Mon oncle, qui est un vrai artiste reconnu et qui expose dans des galeries, m'a appris comment faire. Me jugez pas sur une ébauche ! Moi, je vous juge pas à votre myopie ! »

Pour de l'insolence, c'en était, et de la gratinée. Madame Pic manqua de s'étrangler face à ce petit merdeux qui osait remettre en cause ses compétences de professeur. Certes, le dessin n'était pas si raté que ça, au contraire, et c'était même ce qui avait particulièrement perturbé la pauvre mégère. Mais elle ne s'imaginait pas du tout que son jeune élève aurait autant d'assurance, de tempérament et de répartie. Il voulait jouer avec elle ? Il avait parié sur le mauvais cheval.

« Vous avez besoin de trois heures, monsieur l'artiste en herbe ? Très bien, vous les avez. Trois heures de colle, faites-moi un beau dessin ! »

Gabriel sourit en entrefermant les yeux. Cette pauvre vieille chouette ne pouvait pas imaginer qu'il n'y avait pas, à ses yeux, de punition plus douce que celle qui lui permettait de s'exercer au pinceau. Dès qu'elle eut tourné le dos, il chuchota quelques mots à sa voisine :

GabrielDonde viven las historias. Descúbrelo ahora