PROLOGUE

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Le ciel.

Si trouble.

Il se noyait en lui.

L'eau s'expulsait d'entre ses lèvres, à lui en déchirer les poumons. Il crût s'évanouir, mais recrachait à nouveau de l'eau.

Non, c'était plus acide.

Il vomissait. Se recroquevillant sur lui-même sous le spasme de douleur, son corps tremblant à l'en réchauffer. A la recherche d'air entre chaque nausée, entendant seulement ses propres gémissements sifflants.

Que cherchait-il à attraper en serrant le sable dégoulinant entre ses doigts ?

De l'autre main, il serrait sa poitrine, à l'en griffer. Il voulait arracher ce cœur battant. Battant trop vite. Le sang avait-il été remplacé par de l'eau ?

Il levait la tête vers les cieux, implorant l'air de s'immiscer.

Encore trouble.

Sombre. Et argenté.

Ou bien était-ce à cause de ses larmes ? Pour cause de l'irritation si intense, il aurait pu y voir du rouge. Cela brûlait tant, comme un feu rempli d'eau salée.

Le feu ? Sa tête tambourina à cette pensée, le forçant à cogner le sol mou. La sensation était granuleuse sur son front, chatouillant à cause de ses boucles collées.

" Oui, oui, j'entends très mal vos questions ! Comme vous pouvez le voir, il ne fait guère bon temps ici en Crète, mais ça ne nous empêche pas de remarquer les débris causés par l'éboulement ! Les survivants ont été..."

La télé. Il l'entendait. Si proche.

Quand bien même sa joue restait plaquée à terre, il la chercha du regard.

La mer. Il n'y avait en face de lui que des vagues. Une immensité de vagues prêtes à cogner le bord de plage. Aucun feu. Pourtant, il le savait, il y avait un feu. Dans la ville, pendant qu'il dînait avec sa famille ce soir.

La toux reprit, rauque et longue, croyant encore avoir des litres d'eau à sortir. Il pu sentir quelque chose de coincé dans sa gorge, de très profond. Ça le gênait, ça le forçait à tousser. Encore. Et encore. Etait-ce l'arête du dîner ?

Quel dîner ?

Il avait mal à la gorge, il voulait boire. Mais pas de l'eau, plus d'eau. Du lait.

Pourquoi cela amusait-il ses deux frères de le voir s'étouffer ? Ne pouvaient-ils pas faire preuve de compassion, comme sa grande sœur chérie ? Pas les deux autres, elles se fichaient bien de son état. Ces pestes préféraient plutôt se soucier de leur grand-mère très malade.

Il relevait totalement son buste, secouant sa tête à droite, à gauche, à droite, à gauche. Personne. A droite. A gauche. La lisière de la forêt. Mais personne. A gauche de la forêt. Des arbres, une multitude. A droite de la forêt, la même chose.

Personne, personne.

— QUI PARLE ?

Son hurlement partait dans les aiguës, ne réussissant à atteindre le niveau d'autorité souhaitée. Tel un petit garçon, seul et perdu. Seul et perdu, il l'était.

Entre mer et terre, il n'y avait que lui.

Lui ? Il posa son regard sur ses mains rougies par le froid, décelant facilement les veines. Il ne savait si la nuit jouait un rôle là dedans, mais sa main était d'une telle pâleur, s'en était effrayant. Elle tremblait, signe de faiblesse.

Cette main. La... sienne ?

Pris de panique, il la glissait sur sa joue, puis son menton dénué de poil. L'autre tirant sur ses cheveux bouclés, les nœuds coinçant ses doigts. Pourquoi était-il si paniqué ?

— Il y a quelqu'un ?

Pourquoi sa voix était si fragile ? Il ne la reconnaissait pas. Il ne reconnaissait pas ces vêtements collants et lourds, ce torse si mince dessiné sous la transparence d'une chemise beaucoup trop large pour lui.

Il avait chaud, très chaud. Il ne distinguait plus les spasmes de la simple respiration, tant elle était vive. Il arracha le tissu noir autour de sa gorge, ne cherchant même pas à le defaire tant il était serré. Et en même temps qu'il l'envoya au sol, ses genoux tremblant le suivirent. Il ne tenait même plus debout. Son corps était si fatigué. Faible.

Lui... Lui....Lui-lui-lui-lui ?

Il avait son nom sur le bout de la langue.

Il ne se rappelait pas de son prénom ?

Quoi ?

" Papa, tu ne comprends rien ! Ils se défendent, c'est de la légitime défense."

Soudain, il cherchait du regard d'où provenait cette voix. Celle de son frère.

Son frère ?

— Ils n'avaient qu'à pas les menacer... Tu attendrais, toi, qu'on t'attaque le premier si tu savais ce qui se passerait ?

Ses mots glissaient de ses propres lèvres. Pourtant ils n'étaient pas les siens.

A qui appartenaient-ils ?

De quoi parlaient-ils, bon sang ?!

Son poing s'enfonça dans le sol et il crût sentir sa chair s'effritée. Mais au même moment un bruit retint particulièrement son attention. Il s'empêcha d'échapper un quelconque gémissement de douleur pour mieux déployer ses sens. Pourtant, avec un tel bourdonnement dans ses oreilles il serait étonné d'entendre quelque chose.

Mais il vit.

Là, à seulement quelques mètres de lui. Dans les sombres bois.

Un regard.

C'est à son tour sa respiration qu'il retint. Puis tout son corps de bouger.

Les pupilles extrêmement dilatées. Sûrement comme lui, mais pas comme lui. Les siens brillaient. Il décelait la grande fente au centre.

Les yeux d'un reptile.

D'un reptile ? Non. Non, c'était loin d'être un reptile.

Ce qui se dessinait hors de l'ombre à ce moment-là, était un Monstre. 

FORSAKEN CHILDRENWhere stories live. Discover now