RED CARS | charles leclerc

14

╔═════════ ⋆★⋆ ═════════╗

Le pilote venait de passer le pas de la porte du petit appartement de la Française. Il semblait minuscule, et n'osait pas imaginer comment le séjour allait se dérouler. Il avait enlevé ses chaussures comme elle lui avait recommandé puis il avait déposé sa petite valise près du meuble de l'entrée qui servait de commode à la jeune femme. Il l'avait regardé chantonner jusqu'à la cuisine pour attraper un vase. Le sourire qu'elle avait sur son visage était sincèrement sans prix, il aurait voulu la voir être aussi heureuse pendant un long moment. L'appartement devait faire la taille de l'une de ses chambres, tout était si petit, mais tellement chaleureux. Il n'avait rien dit, et était resté dans l'entrée à observer la Serveuse. Il était bloqué, comme si sa place n'était pas ici. Pourtant, il ne trouvait pas cet endroit désagréable, loin de là. Un sentiment chaleureux s'était installé dans le creux de sa poitrine, et qui s'était propagé dans son estomac quand il avait croisé le regard de la brune. Il avait pincé ses lèvres, avant de prendre son courage à deux mains et d'avancer. Lance n'était pas du genre sociable, il était rare de le voir entouré ou apprécier la compagnie de quiconque. Au début, cela avait été pour se protéger. Vu son entourage familial, il n'y avait que très peu de personnes qui allaient le considérer de toute manière. Puis, pour son confort, il avait décidé de ne s'intéresser qu'aux personnes qui en valaient la peine. Il ne savait pas vraiment ce qu'il faisait là. Cependant, quand il avait vu la jeune femme s'approcher de lui pour l'inciter à avancer dans ce petit appartement. Bolognais, il s'était dit qu'il était au bon endroit. Elle avait pris ses deux mains pour l'inviter à la suivre dans la cuisine. Elle venait d'installer le bouquet de Lys dans son plus beau vase. Raphaëlle ne perdait pas son sourire, elle ne savait plus si c'était Lance ou toute cette matinée qui lui donnait autant de joie. Elle s'était lavé les mains après avoir déposé le vase sur la petite table du salon, le Canadien ne quittait pas ses mouvements des yeux. Ils ne s'étaient pas dit un mot depuis qu'ils avaient monté les escaliers grinçants menant jusqu'à son appartement. Toutefois, ce n'était ni gênant, ni embêtant. Pour la première fois, le pilote se sentait au bon endroit. La Française n'attendait rien de lui. À ses yeux, il n'avait rien à lui apporter. À l'inverse des femmes que lui présentait son père, qui attendait sûrement toute de l'argent. La femme qui se trouvait en face de lui était simplement reconnaissante de l'avoir à ses côtés pendant ces deux petits jours. Les yeux noisette de l'homme qu'elle avait invité chez elle ne rataient aucun de ses faits et gestes. Elle se sentait observée. Chacun de ses mouvements était analysé par le beau Canadien planté dans sa cuisine. Il fallait l'avouer, elle aimait ça. Elle s'était baladée sous ses yeux pour installer les quelques pâtisseries qu'il avait achetées dans une belle assiette. Il ne savait pas comment l'aider, mais elle n'attendait en rien sa contribution. Il devait se reposer de son voyage, c'était tout ce qu'elle désirait. Elle ne pensait pas si bien dire, car la réalité était que Lance était épuisé. La course avait été très difficile. Il se sentait fatigué. Prendre l'avion aussi tôt avait été comme un défi pour son corps aussi affecté par le week-end. Tout ça n'avait plus de conséquences depuis qu'il avait revu le sourire de la Française en face de lui. Elle venait de sortir une bouteille de jus de fruits pour en servir dans deux grands verres. Il n'était qu'un spectateur de ce petit spectacle qui se déroulait sous ses yeux, et il adorait ça. Elle avait commencé à préparer des œufs, puis elle avait coupé des fruits. 

"— Tu dois être affamé alors, je me suis dit qu'un brunch te ferait du bien." Elle venait de mettre fin au film qui défilait sous ses yeux. Elle n'avait pas parlé fort, comme si elle était honteuse d'avoir eu cette attention. "Je n'aimerais pas que tu sois encore plus fatigué pour le prochain Grand Prix." Le temps d'un instant, il avait cru qu'elle avait deviné la supercherie, pourtant elle avait continué : "Puis je commence à connaître le caractère des pilotes. Je ne sais pas si chez Aston Martin, ils sont aussi fatigants que Carlos, mais il est vraiment intenable." Il avait ri. 

"— Chez nous, ils sont beaucoup plus polis, ne t'en fais pas." Il s'était approché pour venir l'aider, il venait de lui prendre le couteau des mains pour continuer de couper les fruits. Il avait senti ses deux prunelles se poser sur lui, et il l'avait vu sourire. "Ne parlons pas d'eux. Je n'ai pas envie de me fatiguer." Il espérait que cela fonctionnerait, il ne voulait pas qu'elle dérange la paix qui se créait autour de lui. "Tu dois travailler aujourd'hui ? J'ai très envie de te voir préparer des cocktails." Il la charriait un peu, il savait qu'elle allait rire et pour l'instant, c'était la seule mélodie qu'il voulait entendre. 

"— Non, j'ai repoussé mes jours. J'avais mon jeudi de libre, mais j'ai échangé les dates. Mais, je peux toujours te préparer quelque chose. Tu n'avais pas pris de cocktail la dernière fois, donc je ne connais pas tes goûts." Elle l'avait observé, alors que son sourire ne quittait plus ses lèvres. Il semblait réfléchir. 

"— Je ne sais pas, quel goût tu as ?" Il n'était pas courageux, encore moins sobre. Heureusement, vu les rougeurs que Raphaëlle avait prises, il savait qu'il avait pris la bonne décision. Il aurait été prêt à payer des milliers d'euros pour revoir ce regard choqué sur son visage. Elle s'était quasiment étouffée, cela l'avait fait rire. Il avait essayé de se rattraper. "Je rigole, ne t'en fais pas. Je dirais que j'aime le sucré et le fruité." 

Ils avaient continué de discuter en préparant leur petit-déjeuner. Lance ne s'attendait pas à être si bien accueilli, mais pour Raphaëlle, c'était le mieux qu'elle pouvait faire. L'ingénieur était venu lui rendre visite en pleine saison, entre deux Grands Prix et surtout, alors qu'il semblait aussi fatigué. Elle espérait qu'il se repose, qu'il profite de ce temps plus calme avant de retrouver la vitesse des week-ends de courses. Elle ne pensait pas être si proche de la vérité. Plutôt que de profiter de cette matinée de printemps en la compagnie de la belle Française, Lance aurait sûrement eu mieux à faire. Comme faire des essais sur le simulateur, ou faire un peu de sport. Il était d'ordinaire plus sérieux sur ses habitudes, mais là, il était difficile de résister. La Femme installée dans le sofa à ses côtés était assurément ce qui lui avait le plus torturé l'esprit depuis cette fameuse soirée. Les pensées à son égard étaient de plus en plus récurrentes, surtout celles qui s'impatientaient de ne pas avoir de nouvelles. Ni message, ni appel. Sauf en cette matinée de début de Grand Prix. Il n'avait pas vu son message, pas avant les premiers essais libres. Alors voir le prénom de la serveuse lui avait laissé penser à la découverte de son petit secret. Pourtant, rien de tout cela ne s'était produit, elle lui avait souhaité un bon week-end. Il espérait que cela lui porte chance, mais cela n'avait pas réellement été le cas. Il commençait déjà à être épuisé alors que la saison commençait à peine. Ils avaient décidé d'allumer la télévision, elle y avait mis une série un peu idiote alors qu'elle venait d'attraper une pâtisserie. Il l'avait observé un court instant, puis elle lui avait tendu un croissant à la crème et aux fraises. Il l'avait attrapé. Cela faisait un long moment qu'il n'avait rien mangé d'aussi gras ou sucré, il ne mentait néanmoins pas lorsqu'il disait qu'il aimait le goût du sucre. Petit, quand son père l'emmenait à l'autre bout du monde avec lui, il lui donnait souvent des sucreries pour qu'il reste sage. Souvent, c'étaient des nounous qui s'occupaient de lui. Avant sa réussite en Formule 3, il n'avait sûrement jamais intéressé son père. Lance était un enfant sage qui aurait tout fait pour combler les rêves de son paternel. Il n'avait jamais eu l'impression d'être suffisant. Au contraire, tout le monde en avait tellement attendu de lui, que de voir la Française être satisfaite de simplement passé un moment en sa compagnie. Elle lui lançait parfois des regards, ses longs cils complétaient à merveille ses yeux colorés et il s'y était perdu un instant. Raphaëlle était très attentive et patiente, surtout concernant ses besoins. Elle s'intéressait tellement à lui qu'elle s'était mise à lui poser des questions. 

Après un long moment où la Française avait fait passer un interrogatoire au Canadien, elle lui avait proposé de quitter le confort de son appartement. Entre les questions plus courantes sur son anniversaire ou son signe astrologique, elle avait appris qu'il avait une sœur. En toute honnêteté, elle aurait pu le deviner avec la douceur avec laquelle il se comportait.  Raphaëlle avait été satisfaite d'en apprendre plus sur elle, même si Lance avait omis certains détails, comme sa carrière musicale, il avait été heureux de parler de sa grande sœur. Elle s'appelait Chloé et l'avait vendu comme une passionnée de musique. Cela avait convaincu la Française, qui avait voulu en apprendre plus sur la famille du Canadien. Il était très proche d'eux, alors en parler lui faisait toujours du bien. Sûrement que le point de vue neuf de Raphaëlle était aussi rassurant. Lorsqu'il lui avait expliqué que son père était un homme d'affaires, elle avait déjà été impressionnée. Elle n'imaginait pas la distance qu'il y avait entre Lawrence et un businessman lambda. Lance redécouvrait ce plaisir d'être inconnu le temps de quelques heures. Cela lui faisait tellement de bien. Il pouvait tout laisser sortir de son cœur, sans penser aux conséquences. Il n'y en aurait sûrement pas tout de suite. C'est ce qu'il s'efforçait à croire. Il ne voulait pas entendre parler du revers qu'auraient ses mensonges à répétition. Il se laissait apprécier la compagnie de la jolie brune pour l'instant. Raphaëlle avait prévu de l'emmener se balader dans le centre de la ville, elle aurait aimé l'emmener à la Piazza Maggiore puis à la Cathédrale. Elle voulait finir par la fontaine de Neptune, où elle espérait sincèrement pouvoir lui proposer de se revoir. Elle lui avait proposé de se changer, car il ne devait plus être confortable dans ses vêtements de voyage. Il avait accepté volontiers en sortant quelques vêtements de sa petite valise, elle avait vu la couleur verte d'Aston Martin dépassé de son sac en le suivant des yeux. Elle lui avait demandé d'essayer la casquette qu'elle y voyait. Lance avait ri en lui attrapant. Raphaëlle pensait l'enfiler d'elle-même, mais le Canadien avait eu une autre idée. Il s'était approché d'elle, il avait dégagé les cheveux de son visage avant de lui mettre sa casquette sur la tête de la jeune femme. Le vert lui allait tellement bien. Elle avait la tête levée vers lui, elle était toujours assise dans le canapé, lui était droit comme un piquet devant elle. Il s'apercevait qu'elle lui plaisait. 

"— Comment me va-t-elle ?" Elle lui souriait même si le regard noisette du pilote ne laissait passer aucune émotion. Il était trop perdu dans ses pensées à l'admirer. "Tu ne dis rien, le rouge me va mieux ?" Raphaëlle se découvrait joueuse et amusée, elle adorait surtout la manière dont Lance l'avait regardé après ça. 

"— Garde-la. Tu es parfaite avec du vert." Il y avait son numéro de pilote, ce qui lui avait encore plus convaincu de lui laisser. "J'espère que tu la mettras au prochain Grand Prix." Il voulait bien sûr l'emmener à nouveau là-bas, il espérait la voir porter les couleurs de son écurie cette fois. "Je vais aller me doucher, je reviens vite." Il avait appuyé sur la visière de la casquette pour lui cacher les yeux, elle avait ri en la remettant correctement.