✶ Salt Statues.

Douze ✶ Smoke Signals.

CHŒUR : Cassandre ne parle plus aux étoiles. Elle les évite, ne supporte plus de les entendre lui souffler le présage de la tragédie que sera sa vie. Elle est trop occupée à courir derrière le Soleil, désormais.

Pour une fois, Sveva n'a pas menti ( elle rend son rôle à Suzana ; elle commence à comprendre qu'elle n'en a plus besoin ). L'avion a déjà décollé, Soleil au-travers le hublot lui brûle le visage. Ses iris sont irritées. Sa patience s'effrite et s'efface à mesure que le temps passe ㅡ un peu comme le gloss qu'elle porte sur ses lèvres et dont les paillettes disparaitront bientôt si personne ne vient s'y accrocher.

C'est la troisième fois que le steward passe dans la rangée, avec son pas pressé et ses vêtements bien repassés. Il s'excuse avec son fort accent italien chaque fois que sa hanche percute l'épaule d'un passager. Sveva le sait ; bientôt, il sera remplacé par une hôtesse aux cheveux relevés, elle viendra leur demander s'ils désirent boire ou manger ( on finit tous par être remplacés, pas vrai ? Signal de détresse a bord de l'avion ; c'est le cœur de la Milanaise qui est en train de sombrer ).
L'hôtesse est connue et appartient à une autre histoire ; mais elle posera toujours la même question et Sveva hochera la tête, de gauche à droite comme elle n'a pas faim. Elle ne veut pas réveiller Federico à ses côtés pour demander ce qu'il en est de lui.

L'avion ne tardera pas à atterrir ㅡ et c'est tant mieux ! Sveva ne sait plus quelle chanson écouter, a hâte de débarquer ( c'est seulement là qu'elle pourra dire « Je suis partie, on s'en est allés », se targuer de ne pas s'être retournée ).
Cette fois, ce n'est qu'un morceau de mensonge. Elle sait que ce n'est l'affaire que de quelques jours.
Elle sait qu'à Milan, quelqu'un lui en veut. Bien fait ! Elle sait que Patrocle/Echo est en colère. Elle sait qu'elle ne l'attend pas, qu'elle se console déjà sûrement dans des bras bronzés. Qu'elle n'a plus sa place dans les draps de Suzana. Sveva ne regrette pas pour autant ; et elle-même n'a pas hésité à emporter sa rancœur dans sa valise.

Elle est toujours Achille : ce rôle lui colle à la peau, alors elle aurait dû savoir. Se douter que les mythes ne mentaient jamais, que son cœur la trahirait ( et est-ce que l'on parle là de Suzana comme elle en est l'allégorie ou est-il réellement question de l'organe ensanglanté ? Personne ne le sait ).
Mais ce n'est pas à elle de réécrire l'histoire, elles mourront toutes les deux sur le champ de bataille et il ne restera que Soleil pour enlacer ce qu'il restera de Sveva. Après tout, c'est elle, la véritable héroïne. Ses bras pâles rayonnent de l'ichor qui y coule, et on finira tous par oublier Patrocle. Oui, elles mourront toutes les deux, mais seule Suzana disparaitra.