✶ Salt Statues.

✶ Prologue. ㅡ Levée de La Nuit.

Les Dieux foulent de leurs pieds dorés les terres humaines et entraînent avec eux des petits cailloux gris sans intérêt, soulèvent la poussière sur leur passage et se penchent sur l'épaule des poètes pour murmurer au creu de leur oreille ; on parlait de l'amour depuis déjà des millénaires.

Seul sujet qui, autant que la mort, se partageait les foules ㅡ comme ils étaient inévitables à la condition humaine. Un cœur battait, puis cessait de battre.

[ Sveva avance sur scène. ]

CHŒUR : Entre alors l'héroïne de ce récit. Il n'y a rien de glorieux à propos d'elle ; dernière fille d'un père et d'une mère, cadette de deux sœurs jumelles.

Sveva évolue sur les pavés dallant les rues de Milan. Entourée de locaux et de visiteurs, les gens se pressent au bord d'un trottoir affaissé par le passage. Ils attendent qu'un signal lumineux leur donne l'autorisation de traverser.

CHŒUR : L'héroïne est disciplinée. Il n'y a rien de glorieux à propos d'elle. Submergée par le néant entre la vallée de ses seins, elle s'est nourrie d'histoires. Des romans aux pages ornées de mots griffonnés de sa main comme des bijoux, l'héritage de ce que les Dieux ne lui avaient jamais offert. Les heures auxquelles Soleil brillait le plus, enfermée dans l'ombre d'une salle obscure. À consommer d'autres histoires. Encore et encore et encore, jusqu'à plus faim. Et même là, elle les avalait encore.

Sveva porte ses lunettes à grosse monture baissées sur son nez et sa frange brune en dissimule une partie ㅡ le feu passe au vert, elle avance alors. Le trafic s'arrête, le mouvement fait voler ses cheveux aux mèches caressées par Soleil.
Elle va, au milieu de la foule et sans chercher à dépasser quiconque, elle n'est pas pressée.
Elle devrait l'être. Sveva est attendue.
Les volants de sa robe dévoilent ses jambes à chaque pas et ses chaussures griffées l'accompagnent et lui donnent une certaine... contenance. Elle ne sourit pas, et c'est dommage! Cela irait tellement bien avec son nouveau rouge à lèvres.

Son téléphone tremble dans son petit sac pailleté, elle ne le remarque pas. Le vibrement vient de sa meilleure amie. Peut-être qu'elle s'impatiente. Ou peut-être a-t-elle aperçu parmi la multitude de silhouettes présentes autour d'elle un homme suffisamment charmant pour qu'elle en parle à Sveva ? Gianni ne tient que peu compte de celui qui partage sa vie ㅡ il serait d'ailleurs plus juste de dire qu'il partage son lit de façon prolongée. Il n'est pas là, même pas dans le même pays, et Gianni ne va pas se gêner.

Sveva marche toujours sans se presser, danse entre les touristes et les tables dressées sur les trottoirs, sourit quand on la regarde avec attention.
Chaque recoin de son crâne vibre de l'affluence des rues. La foule s'y masse et y valse jusqu'à perdre haleine contre ses tempes ; et Sveva est consciente que quelques mois auparavant, elle serait restée chez elle.

CHŒUR : Non, il n'y a rien de glorieux à propos de l'héroïne. Elle va, elle ne sait pas de quoi demain sera fait. Ici, on accorde plus de crédit aux paroles du Soleil qu'à celles des menteuses ㅡ même quand celles-ci ont raison. Sveva vient pourtant de récupérer sa voix, la foule est curieuse. Prends garde, Soleil, car même dans ton char que tout le monde admire, tu n'es pas à l'abri des phrases assassines de Sveva ni des flèches d'Eros à ses côtés. Prends garde, Soleil.