Juliette

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Je regardais Christine par la fenêtre de la cuisine. Elle avait changé en peu de temps. La première fois que je l'avais vu, elle avait des cernes et un teint pâle, maintenant elle abordait un grand sourire et des yeux brillants de patience et de sérénité. Que lui était-il arrivé ? Elle jouait dehors avec son chat, Miaou, que j'avais sauvée d'un incendie quelques jours plus tôt. C'était ma nouvelle voisine, et j'en étais heureuse. Maintenant, j'allais avoir une amie à côté de chez moi.

- Juliette, j'ai besoin de toi, m'appela Norbert depuis l'atelier.
- J'arrive, fis-je en me levant de la chaise sur laquelle j'étais assise pour me diriger dans le hangar.
- Les nouveaux voisins m'ont donné des morceaux de bois calciné et j'aimerais en faire quelque chose pour leur faire un cadeau de bienvenue.
- C'est une bonne idée, m'enthousiasmais-je. À quoi penses-tu ?
- Je pense qu'on pourrait essayer de construire un cadre photo, où ils pourraient mettre une image d'eux tous. Ça leur ferait un bon souvenir.
- En effet, c'est une bonne idée. Je vais t'aider.
Nous nous mîmes à fabriquer le cadre photo tous les deux. Ce n'était pas facile avec mon bras encore fragile, et la plupart des morceaux de bois étaient irrécupérables. Certains s'effritaient même dans nos mains juste quand on les prenait.
Au bout d'une bonne heure, nous réussissions quand même notre travail, qui, pour de simples morceaux récupérés par-ci par-là, n'était pas si mal.
- Voilà, on a terminé, déclara Norbert, fier de lui. Nous le leur donnerons demain, ils doivent être fatigués de leur journée de travail. Je suis ravi de ne plus connaître ce qu'ils doivent endurer tous les jours, me confia-t-il malicieusement. Tu as de la chance, tu ne vas pas à l'école. Là-bas, c'est pire que l'enfer.
- Au moins, toi, tu sais lire, dis-je. Personne ne m'a appris à le faire, on ne m'a jamais accordé assez d'attention pour me donner des cours particuliers.
Deux jours plus tôt, Christine m'avait envoyé un message sur un bout de papier, et j'avais été obligée de demander à Norbert de le déchiffrer.
Son regard s'adoucit et il ajouta :
- Je peux t'apprendre à lire, et même à écrire si tu le veux.
- Tu ferais ça ?
Comme il hochait la tête, je m'écriai :
- Merci beaucoup !
- Ce n'est rien. On arrêtera dès que tu le voudras, car on apprend mieux quand on est motivé, alors que si on n'a pas envie, on n'avance pas. Viens, il est l'heure d'aller manger. J'ai préparé des patates sautées du jardin.
Nous commencions à manger quand la sonnette retentit.
- Tiens, les nouveaux voisins viennent nous rendre visite ? À cette heure ?
Je me levais tout de même pour aller voir qui cela pouvait bien être. Je fus très surprise de voir deux personnes habillées de noir attendre devant la porte. Je ne voyais quasiment rien de leur visage, mais j'étais sûre qu'ils n'étaient pas commodes. Au moins, ce n'étaient pas des tenues des membres de l'orphelinat.
- Norbert, je crois qu'il y a des gens pour toi.
Celui-ci se leva aussitôt et se dirigea vers moi.
À quoi ressemblent-ils ?
- Ils sont habillés en noir et ils ont l'air sérieux.
Son regard s'assombrit.
- N'ouvre pas, m'ordonna-t-il.
Je préférais l'écouter. Quand il prenait cet air, je sentais que je ne devais pas le contredire. On toqua plus fort à la porte.
- Nous ne partirons pas tant que vous ne nous aurez pas ouvert ! tonna une voix venue de l'extérieur. Mon ami soupira et entrebâilla l'entrée.
- Qu'est-ce que vous me voulez encore ? grogna Norbert.
- Nous sommes venus pour les dettes, bien évidemment.
- Les dettes ? répétais-je.
- Rentre, me dit-il. Tu vas attraper froid.
J'obéis. Je repartis dans la cuisine, guettant toujours la conversion qui se déroulait à l'entrée. Norbert était endetté ? Depuis quand ? Pourquoi ne voulait-il pas que je le sache ? Je l'attendais patiemment, assise sur ma chaise. L'horloge au-dessus de la porte indiquait qu'il était vingt-deux heures vingt.
Environ dix minutes plus tard, Norbert revient. Il semblait plus fatigué que tout à l'heure.

- Ça va ? demandais-je.
- oui, marmonna-t-il sans conviction.
- Qu'est-ce qu'il ne va pas ?
- Rien, répondit mon ami.
- Je vois bien que quelque chose te tracasse. S'il te plaît, dis-le-moi !
- Bon, d'accord. Vois-tu, nous gagnons peu d'argent jusque-là. Nous ne payons pas de taxes de loyer, car je suis propriétaire, nous nous nourrissons grâce au jardin et nous allons très rarement faire des courses. L'argent mit de côté quand j'étais plus jeune m'a servi à tenir, car nous avons quand même des factures d'eau et d'électricité qui peuvent monter très haut, surtout en hiver. Or, je n'ai pratiquement plus d'argent sur mon compte depuis déjà un mois. Maintenant, ils me menacent de me prendre ma maison et tout ce qu'il y a dedans pour que je paye ce que je dois aux compagnies.
Ils n'ont pas le droit ! m'exclamais-je, choquée.
- Malheureusement si. Mais je n'ai aucune envie de repartir travailler, à ne faire que ça de mes journées, de ma vie... Non, je ne pourrais plus me soumettre à ça.
- On n'a qu'à prendre un peu d'argent aux riches.
- Demander de l'argent aux riches ! Ils ne pensent qu'à s'enrichir encore plus, quitte à détruire l'écosystème ou la vie des plus pauvres ! Ils construisent de plus en plus de trucs polluant juste pour gagner de l'argent, alors qu'ils ont déjà des dizaines de milliers d'euros pour certains ! Et quand ça parle de dépense sans rien en retour, ils ne sont plus là. Non, on ne peut pas compter sur eux.
- Je ne parle pas de leur en demander, mais plutôt de leur en dérober, répliquais-je sournoisement.
Sa mine devint pensive, et, au bout d'une ou deux minutes, il répondit :
- Ce que tu viens de dire n'est peut-être pas une mauvaise idée... Mais cela me déplaît de voler.
- Prendre de l'argent aux riches, qui ne s'en rendront même pas compte pour la donner aux pauvres, que ça aidera vraiment, je ne vois aucun vole en ça, juste un peu de bravoure pour aller se mettre des gens contre soi.
- Tu n'as pas tort, admit-il. Il va nous falloir un plan qui devra tenir la route, car il sera impossible d'improviser quand on sera sur le terrain.
Je me réveillais. Je n'avais pas beaucoup dormi, car j'avais pris du temps à préparer le plan pour le cambriolage avec mon complice. Le temps de trouver un lieu à voler, de réfléchir à quels gadgets qu'on allait utiliser, et qui d'entre nous deux se mettait le plus en danger... On avait pris du temps à se mettre d'accord et il était deux heures quarante-cinq du matin quand j'étais parti me coucher. Comme nous étions tous deux fatigué, Norbert décida que nous construirons les gadgets et que nous reposerons, pour être sûr d'être prêt et en forme pour le lendemain. Je ne l'aidais pas à fabriquer les outils pour le vol, je réfléchissais à quelques détails du plan qui pourraient tout changer, pour être sûre qu'un rien ne modifie pas tout.
Vers treize heures, mon ami ressortit de l'atelier, plein de sueur.
- J'ai terminé, m'annonça-t-il. Nous n'avons plus qu'à nous reposer, et demain, nous partirons faire notre cambriolage.
- D'accord, c'est parfait.
Nous mangions rapidement le peu de nourriture que le jardin nous avait donné, faute d'avoir pu aller chercher quelque chose d'autre sur la grande surface la plus proche. Puis nous partions faire une sieste, afin d'être bien reposé et non exténué au moment du cambriolage.
Norbert s'était réveillé, et il était assis dans la cuisine. Je venais doucement m'asseoir à côté de lui.
- Quelque chose ne va pas ? demandais-je.
- Je ne suis pas sûr du cambriolage de demain, m'avoua-t-il. Tu es sûr que c'est la meilleure chose à faire ?
- Pour nous, oui. Pour ces gens riches, ils ne s'en rendront pas compte seulement quand ils en seront avertis par la banque.
- Oui, mais si on se faisait attraper ? Pour toi, c'est l'orphelinat assuré, et pour moi, c'est la prison.
- Ça n'arrivera pas, le rassurais-je. Tu es toujours partant ?
- Bien sûr ! De toute façon, c'est ça ou l'esclavage de la routine.
La peur que je lisais sur son visage quelques minutes avant avait disparu. Maintenant, je le voyais de nouveau comme avant, confiant et sûr de tout ce qu'il faisait.
- Merci, me chuchota-t-il dans l'oreille. Il est l'heure de dormir. Demain, une grande journée nous attend !
Je trépignais devant la banque, impatiente. Je savais ce que je devais faire. Il fallait que je m'occupe de faire diversion pendant que Norbert dérobait un peu d'argent à une riche compagnie de pétrole. J'attendis patiemment le signal, qui ne tarda pas à arriver. Une détonation retentit de la salle des coffres. Mon ami avait jeté une grenade fabriquée hier faite maison, et c'était à moi d'agir. Je sortis de ma sacoche une poigné de cailloux que j'avais trouvé en chemin et je les jetais de toute mes forces sur les vitres du bâtiment. Certaines se fracassèrent, et d'autres tinrent le coup ou se fissurèrent. Les employés, les clients et les passants me regardèrent faire, stupéfait. Puis deux hommes se dirigèrent vers moi et essayèrent de me bloquer contre un mur.
- Qu'est-ce qu'il te prend petite ? me demanda le premier agresseur. Tu n'as pas le droit de faire ça.
- Elle essaye de faire diversion pour qu'on oublie le bruit qui venait de la salle des coffres, c'est sûr vu la proximité des deux événements, comprit un des employés qui était sortit pour voir ce qu'il se passait avant de faire demi-tour et de partir en courant.
Mince, le plan était tombé à l'eau ! Norbert devait se dépêcher, sinon il allait se faire arrêter. Je me libérai de l'emprise des deux hommes et bloquai le chemin à l'employé pour l'empêcher d'aller voir Norbert.
- Appelez la police ! cria quelqu'un.
J'entendis un répondeur, sans savoir d'où il venait. Je paniquai totalement. Notre cambriolage était en train de dégénérer !
- S'il vous plaît, laissez-nous prendre un peu d'argent, suppliais-je la foule.
- Tu crois que nous devons travailler dur pour vivre notre vie, et que vous, vous aurez le droit de la vivre en faisant tout ce que vous voulez ? C'est hors de question !
- Vous gagnez votre vie en la perdant en même temps ! On ne peut pas acheter le temps !
Je me souviens alors de la rue où j'avais vécu avant d'aller chez Norbert. Tout le monde semblait triste, mais maintenant, je savais que l'on pouvait travailler tout en étant heureux, comme on le faisait avec nos statuettes de bois.
- Pourquoi ne faites-vous pas le métier de vos rêves ? m'enquis-je pour gagner du temps.
- Car il faut bien des gens qui s'occupent de chose pas drôle, et des corvées, c'est ainsi que va la vie.
Je recherchais d'autres choses à dire. Norbert ne devrait pas tarder à revenir. C'est alors que j'entendis une sirène de police. Sans réfléchir, je courus dans la galerie où étaient entassés tous les coffres laissant les gens derrière moi, totalement hébété.
- Norbert ! Il y a la police ! Il faut partir d'ici, et en vitesse !
Dès qu'il m'entendit, il rangea toutes ses affaires et me donna une liasse de billets verts.
- Il y a dix mille euros. J'en prends vingt mille avec moi. C'est juste au cas où un de nous deux se ferait avoir, l'autre pourra ramener de l'argent à la maison.
- Ce n'est pas bête, avouais-je en voyant qu'il pensait déjà au pire.
Mais alors que je finissais ma phrase, deux policiers encadrèrent la porte et dirent en chœur :
- Les mains en l'air, vous êtes en état d'arrestation !
Je suivis immédiatement les conseils des deux membres des forces de l'ordre. Mieux ne valait pas désobéir aux policiers. Mais comme mon complice ne bougeait pas, je baissais petit à petit mes mains.
- Cours, je les retiens, me glissa-t-il discrètement à l'oreille.
- Mais... Tu ne peux pas te sacrifier comme ça !
- Il n'y a pas de mais qui tiennent. Je dois le faire. Vas-y, je t'en supplie !
J'acceptais d'un hochement de tête. Il aborda les policiers :
- C'est moi qui ai fait sauter le coffre-fort. C'est à moi que vous en voulez !
Les deux collègues se concertèrent du regard, surpris.
- Un chacun, ordonna enfin l'un d'eux.
Je sortis de la salle avant que le deuxième policier, celui qui devait s'occuper de moi, puisse faire le moindre geste pour m'arrêter.
- Arrête-toi au nom de la loi ! s'exclama-t-il derrière moi.
Mais je ne l'écoutais pas et continuais à fuir. Je sortis de la banque, et je continuais à courir dehors. Quand je jetais un coup d'œil derrière moi, je remarquai que le policier avait arrêté de me poursuivre. Mais il n'y avait aucune trace de Norbert. J'eus un pincement au cœur. C'était doublement ma faute s'il allait aller en prison, car j'avais eu l'idée de braquer la banque et je n'avais pas réussi la diversion comme prévu. J'essuyais rapidement mes larmes que je n'avais pas pu retentir lorsque je vis les deux policiers qui encadraient mon ami menotté.
- Je te libérerais coûte que coûte, Norbert, promis-je avant de rebrousser chemin vers la maison, où j'allais planifier mon prochain plan, mais pas de vol cette fois-ci, de sauvetage.


Les quatre élémentsWhere stories live. Discover now