Who cares baby

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Soline m'adresse de grands signes depuis l'entrée du Forum, l'un des carrefours commerciaux du centre-ville. Je passe mon sac à l'épaule, souhaite une belle journée à la vendeuse de l'enseigne que je quitte. Ma comparse Strasbourgeoise a tôt fait de noter la coïncidence.

« Yves Rocher, hein ? me glisse-t-elle en même temps que son bras sous le mien. T'es allée faire place nette ?

— Comme tous les mois, oui.

— Mais quelle incroyable coïncidence que ça tombe la veille du jour où ton Léandre vient, cette fois. C'est pareil qu'en France ?

— Pareil, mais plus cher. Et heureusement que t'es pas en avance, j'ai cru que l'esthéticienne allait jamais me lâcher. C'est la première fois qu'elle épilait une Française qui connaît la maison-mère.

— Houlà oui, elle devait être dans tous ses états.

— Mais la musique en fond était bien. Assez relaxante.

— On est un poil stressée ? Ça tombe bien, j'ai de quoi te détendre. »

Selon Papa, m'habiller avant mes 7 ans était relativement simple : j'acceptais n'importe quoi. Jupette en velours, salopette en jeans – même le combo sandale-socquettes. L'affaire s'est corsée à la préadolescence, quand mes goûts marginaux ont commencé à sourdre. Et si ça ne me paraissait pas honteux jusque-là, des gens de mon âge ont commencé à dire que han mais ça craint trop d'aller faire les mags avec son père. L'ennui, c'est que je n'osais évidemment pas acheter ce qui me plaisait vraiment lors de sessions shopping épisodiques avec des filles de ma classe.

S'en est donc suivi un flou artistique jusqu'à ce que le lycée arrive et que je grapille suffisamment de confiance en moi pour afficher davantage de noir que de couleurs. Tous les bahuts ont bien leur mouton gothique, après tout. Ç'avait l'avantage d'éloigner morues comme requins, aussi sûrement qu'un spray à l'ail ou un crucifix. Maintenant, au moins, je sais ce que je veux et ce qui me va. Ce qui pose un autre problème : le budget.

« Et ça, c'est beau, non ? questionne Soline en extirpant un pull frangé du portique Vero Moda. Ils l'ont en fuchsia aussi, tiens.

— On lave notre linge ensemble depuis presque deux mois. T'as bien dû remarquer quelque chose.

— Qu'on consomme beaucoup de Décolor Stop, oui. Tu vas mettre quoi, demain ?

— Des habits ?

— Mais précise ! Il est où, le fun, sinon ?

— L'espèce de legging avec la fermeture dans le dos et le pull moulant, avec le col en V. C'est mieux ?

— Oublie pas les réflecteurs parce que, dans le noir, il risque de te manquer. Et comme sous-vêtements ?

— On s'est même pas embrassés, tu sais, parviens-je à rétorquer tandis qu'une curieuse chaleur se répand de quelque part à autre part.

— À moins que Jérèm se planque sous ton pieu, vous devriez avoir le champ libre. Peut-être déjà sur le quai de la gare ? C'est si cinématographique. »

Je pense être très forte au jeu de la sourde oreille. Soline n'insiste pas, ponctuant toutefois la question d'un petit entrechat sur du Bruno Mars – hey baby, I think I wanna marry you.

Liquorice LoveWhere stories live. Discover now