Les gougères aux épinards

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      Martin, Jérémie et moi sommes installés à l'arrière de la Volkswagen de Pietari et Veera, le couple qui a accepté de nous conduire à Helsinki. Imaginaerum passe bien évidemment à fond, entre quelques discussions sur d'anciens show, l'arrivée de la nouvelle chanteuse, Floor Jansen, d'autres groupes finlandais. Korpiklaani, Sonata Arctica, Amorphis. Jérèm fait son possible pour participer, voyant qu'une fois n'est pas coutume, je suis assez diserte. Son paquet de gummy bears achevé, le breton désœuvré se penche dans ma direction :

« Tu m'expliqueras les chansons ?

— C'est-à-dire ?

— Bah, les paroles, vite fait. Que j'aie une idée de quoi ça cause.

— C'est pas une dissert' de philo. Personne ne viendra t'interroger à la fin.

— Non mais, comme t'es complètement zinzin de ce groupe, y'a sûrement un truc qui justifie ça. C'est cool, en tout cas, de sortir un peu. Genre, que les deux.

— Que les deux mais à cinq.

— Tu vois ce que je veux dire. »

Attends d'être à l'Areena, tu vas pas être déçu, cingle mon double maléfique, le minuscule Kronk en justaucorps rouge juché sur mon épaule.
 
J'aurais pu prévenir Jérémie. J'aurais peut-être le prévenir. Mais il n'y a que lui pour fantasmer notre relation ; à croire que le concept de friendzone lui passe carrément au-dessus. D'un autre côté, je n'ai jamais eu le courage de le rembarrer proprement. Peut-être parce que le blondinet fait partie du cercle restreint des personnes qui osent me parler à la fac et que j'ai peur, terriblement peur, au fond de moi, d'être seule.

J'ai toujours été mono-ami, préférant n'avoir qu'une personne qui compte plutôt qu'une ribambelle d'amitié diluée. L'ennui étant que, quand cette meilleure pote de toujours, Lucia, pour ne pas la nommer, part faire ses études de médecine à Paris, on frôle l'abandon. Si Jérémie ne s'était pas assis à côté de moi, ce premier jour dans l'amphi... Qui sait à quoi ces trois années de licence auraient ressemblé ?   

Je soupire, me rabats sur le paysage qui défile en chantonnant Dead Boy's Poem. A lonely soul, an ocean soul. Pietari annonce que nous arrivons dans une vingtaine de minutes. Je m'agite sur mon siège, coincée entre la portière et le breton qui a pris ses aises, préférant épouser mes formes plutôt que celles de son voisin. J'enroule, déroule mes écouteurs. Si j'ai réussi à endiguer jusque-là un affreux doute derrière l'excitation du concert, je sais que la soirée ne se résume plus à Nightwish. Il se passe quoi, si quelque chose a changé durant ces trois semaines ?

Tu verras bien, inutile de tirer des plans sur la comète et le pompon sur le chihuahua, soliloque la sagesse matrimoniale de la branche Onésime.

J'observe mon reflet dans la vitre, à la lueur des lampadaires derrière lesquels se devine une silhouette monstrueuse, éclairée par de puissants spots.

Hartwall Areena, here we come.

Liquorice LoveKde žijí příběhy. Začni objevovat