Du mouliné de breton

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      Nous nous séparons de Pietari et Veera après avoir convenu d'un lieu de rendez-vous en fin de soirée. Jérémie et Martin désirant avant toute chose se restaurer, j'use quant à moi du sempiternel alibi des commodités pour leur fausser compagnie et me diriger vers l'enseigne d'un débit de boisson, habitué à abreuver des supporters de hockey. Très cliché mais redoutablement efficace : mon pouls accélère à chaque pas, jusqu'à ce que je le discerne parmi les hordes de métalleux.

Léandre se tient en marge de la foule, tout de noir vêtu. J'aimerais parvenir à décrire son expression lorsqu'il m'aperçoit, mais les mots me font défaut – tout comme les muscles de mes jambes, manifestement. Il a déposé sa bière et, dans un réflexe alien en Finlande, s'avance pour me faire la bise. Le parfum qui émane de lui me fait louper un battement, sans même parler de ce bref contact qu'il prolonge en glissant :

« C'est 3, en Suisse.

— Généreux de votre part, me contenté-je d'apprécier. Antti n'a pas voulu venir, finalement ?

— Il passe le weekend chez sa mère, à Tampere. En fan invétérée, j'imagine que tu avais hâte d'être aujourd'hui. »

Oui, mais pas que.

« On va voir le merch ? proposé-je en désignant les longues tables, prises d'assaut, sur lesquelles s'étalent des monceaux de tshirts et hoodies.

— J'ai essayé de trouver le line-up, mais rien n'a fuité. Et je ne t'ai même pas proposé une bière.

— Quel affront. Il t'en reste, je vois.

— Un fond. Mes miasmes...

— ... ne peuvent pas être pire que les miens, complété-je en acceptant le gobelet qu'il me tend. J'aimerais tellement qu'ils jouent Ghost Love Score.

— C'est ta préférée ?

— Non, Passion and the Opera.

— Gethsemane, dans mon cas. Team Oceanborn aussi, intéressant.

— Se pourrait-il que nous ayons un point com... »

Mon prénom scandé par une voix reconnaissable entre toutes m'interrompt. Hot dogs en main, Jérémie et Martin font apparition ; le second simplement curieux, le premier catastrophé en découvrant Léandre.

« Ah, t'es là, toi ? Ça alors, lâche le breton en essuyant le coin de sa bouche barbouillé de ketchup.

— Salut, Jérémie. »

Je les laisse se charger des présentations, distraite par ma poche qui s'est mise à vibrer. Je souris en découvrant un message de Johanna :

Johanna EOTO :
Bonsoir Tiph, j'espère le concert vas bien se passer, tu me racontera quand tu viens à la maison le semaine prochaine ?
Et, dis bonsoir au fameux Leandre pour moi 😉

Je lui rédige une brève réponse dans un finnois que j'espère aussi compréhensible que son français. Johanna a un an d'avance sur sa pratique de la langue de Molière – c'est d'ailleurs pour ça que nous nous sommes rencontrées. Elle s'est inscrite à un programme d'échange pour mettre en relation des étudiants qui souhaitent apprendre une langue auprès de natifs : Each One Teach One. Le français pour elle, le finnois pour moi. Nous nous sommes vite entendues, à tel point que nos séances ne se font plus à la Bibliothèque Universitaire mais chez elle, souvent suivies par un dîner avec ses parents. J'envoie également un bilan à Soline ; au diable le hors-forfait.

Martin checke l'heure, s'éclipse en direction du secteur opposé au nôtre. Son départ semble décongeler le breton qui soudain s'active, comme le ding-ding d'un micro-onde. 

« Bon ben, on y go ? reprend-il en même temps que ma taille – il va vraiment falloir cesser ce genre de familiarité. T'es en bas toi, Léandre ?

— Dans la fosse, oui. Je t'enverrai un message à l'entracte, me répond ce dernier. Profitez bien. »

Je le vois s'éloigner. Une nichée de gothic lolitas saucissonnées dans leur fishnet le désignent en gloussant. J'ai gardé sa bière, vide. Le gobelet craque, se fendille. Je me dégage de Jérémie, prends sans l'attendre le chemin des gradins.

Liquorice LoveDonde viven las historias. Descúbrelo ahora