Le Husky-Garou

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👾 RÉMI 👾

Je vais l'atomiser sur Tricky Towers, le rouquin. Non, mieux, je vais effacer sa save de 300h sur Skyrim. Ou, pour faire bonne mesure, pisser dans l'évier son jour de vaisselle.

Ils font mumuse avec les chiens, Abby et lui, pendant que je lace mes pompes à grand renfort de nœuds coulants. J'ignore encore à quoi il joue, le Touist, mais sûrement pas au même jeu que moi. Il avait pourtant l'air ultra opé, quand je lui ai proposé d'emmener la donzelle se faire promener par Balto chien-loup.

Il aurait pu lui conter fleurette au détour d'une bouse de vache, lui butiner la pâquerette entre deux combes – personne, et surtout pas moi, n'en aurait jamais rien su. Mais voilà que deux couples nous rejoignent, un BCBG et l'autre plutôt Heineken-saucisson, ainsi qu'une mère et son ado taciturne. La frange grasse et aussi étanche qu'une écumoire, niveau piercings.

Le Club Med, dans les Alpes, c'est toujours quelque chose. Les harengs saur alignés sur la plage, ils savent au moins pourquoi ils sont là. Les touristes, en montagne, c'est quitte ou double. Soit les experts qui ont déjà tapé leur meilleure fondue au sommet de l'Himalaya et qui ne jugent que par Mike Horn, soit les bobos curieux qui se disent qu'avec une thermos en alu recyclé et un guide du glamping, ça passe.

L'échantillon qui boit les paroles du grand roux devant lui tient plutôt des randonneurs en carton – ça sent les ampoules et la crise de nerf avant la fin de la journée.

« Super, maintenant qu'on est tous réunis, Messieurs-dames, quelques informations sur le déroulement de la journée. Déjà, est-ce que tout le monde a bien pris son casse-croûte ? »

Je fais signe que non, mais personne ne me regarde. À part peut-être un clebs aux yeux si clairs qu'ils lui donnent l'air à la fois possédé et bas de plafond. Sans trop savoir pourquoi, je sens qu'il va être pour moi. J'écoute la grande asperge débiter son discours sans l'écouter, concentré sur le renflement que je devine dans sa poche. Mes clés, salaud.

« Les baudriers sont dans la caisse, juste ici, poursuit le traître qui s'est déjà acoquiné l'assistance féminine – minus l'ado qui ne doit pas encore savoir à quoi servent les hormones. Ça fonctionne comme ceux d'escalade, je vous montre. Voilà, vous serrez bien ici, vous ajustez la boucle et c'est parti.

— Tu peux pas me forcer à vous accompagner, maugréé-je alors qu'il m'en tend un, le plus niqué de tout le stock.

— Non, mais tu vas venir quand même.

— Sinon quoi ?

— Je récupère mon canapé.

— T'es vraiment le roi des cons au pays des emmerdeurs.

— Je t'aime aussi, Rémi bébou. Tu vas prendre celui-là, vous allez bien vous entendre. »

Le husky démon m'est aussitôt mousquetonné. Il braille comme un goéland et, bien décidé à suivre son musher, m'arrache au sol sans que mes pieds n'aient fait le moindre mouvement. Je dois faire le double de son poids, mais la proportion de muscles n'est manifestement pas la même.

« Le planté de bâton, M. Dusse, me fait remarquer Abby dont le chien blanc-roux est sagement assis devant elle.

— Restez à l'écart, le temps que je prépare les autres, nous intime Oliver. La tienne, Abby, c'est Violette. Rémi, c'est Foulcamp. Croisé Malamute.

— Pourquoi c'est moi qui écope du husky-garou ?

— Parce qu'il est siphonné du bocal, mais plutôt gentil, dans le fond. »

J'ai surtout l'impression que l'animal va finir par me plier la colonne vertébrale dans le mauvais sens, à force de tirer comme un perdu. Quelle idée de merde.

« C'est une bonne idée, non ? me nargue Mlle Sauldubois et sa Violette neurasthénique. On est presque sur du team-building.

— Mais oui, trop bien, répliqué-je avec ma meilleure voix de fausset. On fera un escape game, la prochaine fois. Je me réjouis, patronne, si vous saviez. Passer du temps avec vous, c'est presqu'aussi stimulant que...

— ... se titiller la prostate ? »

Je lui jette un œil morne. J'aurais pu la faire, celle-là.

« Y'en a un que ça titille déjà, visiblement, ajoute-t-elle en désignant Foulcamp, patte levée, qui se déleste contre une borne.

— Allez, tout le monde, vous êtes prêts ? lance Oliver à la cantonade. Une dernière précision, mais pas des moindres : les chiens n'écoutent que moi. Pour les faire ralentir, penchez-vous en arrière, dans le baudrier, comme si vous vouliez descendre en rappel. Je passe devant, n'hésitez pas à crier si quelque chose ne va pas.

— Mais on va pas courir, si ? s'inquiète l'un des malheureux bague au doigt, petit rondouillet dégarni.

— Non, non, du tout. De la marche rapide, plutôt. Mais les chiens vont vous aider, vous verrez. En piste, Messieurs-dames, on y va ! »

À peine a-t-il articulé une espèce de son qui ressemble à ce que les vilains de la Wehrmacht beuglent dans la Grande Vadrouille, que les chiens bondissent en avant. Et nous avec. Même la Violette maigrelette fonce en tête, Abby essayant de suivre tant bien que mal. Foulcamp me remorque par les boyaux, sans le moindre égard pour mes bras qui moulinent le temps de retrouver l'équilibre.

« Ça va, ça suit ? » clame Oliver, aussi digne et altier que le pur-sang qui trotte devant lui.

Quelques oui tremblotants s'élèvent en réponse. Les chiens ont le traîneau dans le sang. On ne leur demande pas de serrer la bride, d'ordinaire. Devoir se faner un bipède aussi rapide et adroit qu'un pylône électrique, ça doit gaver. Foulcamp me le fait bien comprendre : on n'a pas fait deux cent mètres que je me retrouve à brouter une touffe de trèfles.


Latte Machiavelo [Concours Femme Actuelle x Les Nouveaux Auteurs 2024]Tempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang