Enfoncer l'clou

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« Pourquoi tu m'as pas dit que t'avais besoin de thunes ? J'aurais... j'aurais pu me débrouiller pour te payer quelque chose pour le Grenier, au moins. »

Je devine une petite pointe de regret faire surface. Il n'a jamais proposé, mais j'y ai jamais rien demandé non plus. Rémi paye l'internet, vu qu'ils en ponctionnent les 90% avec Oliver. C'était tacite, jusqu'à ce que ça le soit plus.

Il a pris la tête entre ses mains. Je pensais bien que ça allait être un coup dur, mais il a l'air de la prendre vraiment mauvaise, la nouvelle. Je croise les bras pour empêcher une paluche compatissante d'aller atterrir sur son épaule. Je l'aime, ce troufion, au moins autant qu'il m'exaspère. Si seulement il collait son énergie ailleurs... 

« C'est acté, donc ? reprend Rémi, morose et furax à la fois.

— Et pas qu'un peu. Elle vient demain matin pour que j'y refile les clés.

— Pas que ça m'intéresse foncièrement, mais quand même : t'as conclu l'affaire comment, au juste ? Copains d'avant, Tinder ?

— J'avais prévu de mettre une annonce sur Leboncoin mais y'a même pas eu besoin, tu vois. C'est une petite-cousine de Josette Vuillerens, tu sais, celle du club de majong ? Elle a décidé de venir s'installer dans le coin. On en a causé au dernier tournoi, elle m'a passé le numéro et voilà. J'y ai envoyé les photos que j'avais sur mon téléphone. Elle est toute chou, la petite. Hyper motivée, le conseil municipal a validé l'idée en deux temps trois mouvements.

— Donc ça ne date pas d'hier, cette histoire, grince Rémi en se levant, abandonnant une assiette à peine entamée. Ça t'est pas venu à l'idée de m'en parler un peu plus tôt, nan ?

— On a signé les papiers semaine passée.

— On vit sur le même fuseau horaire, si jamais.

— Oh bah hé, tu me racontes pas tout non plus. Va falloir que vous débarrassiez votre bazar presto, avec l'autre grande saucisse.

— On a droit à 48h pour nous retourner ? Parce qu'on a un planning de stream à tenir, figure-toi, même si tout le monde a l'air de s'en contrefoutre.

— Vous vous arrangerez avec la d'moizelle. Elle passe à 10h.

— Bon ben je vais aller prévenir Oliver, hein.

— Voilà, fais ça. Je te garde tes raviolis pour le casse-croûte de minuit. »

Il va pour débarrasser, s'appuie contre le plan de travail à petits carreaux beiges. La cuisine est plus vieille que lui, elle date de 1982. Faudrait sûrement y ravaler un peu la façade, comme au reste du chalet. Les appartements non plus, ne sont plus de toute première jeunesse... heureusement qu'Oliver, à l'étage, est pas bien pointilleux.

J'espère que la jeunette appréciera aussi le côté authentique qu'en toc du Mazot. Meaux, c'est un peu la campagne de Paris, nan ? Pis elle avait pas l'air starlette pour un sou, même avec un de ces anneaux rigolos dans le nez. Polie, enthousiaste. Davantage que le Rémi qui me fait face. Je crois bien que le moment est venu d'enfoncer le clou. 

« Et pis, au fait, coco.

— Quoi ? »

Il pivote vers moi avec l'air de se demander ce qui pourrait bien y arriver de pire. Je m'y connais, moi. Ça peut toujours être pire. La preuve :

« Faudra aussi que tu vides le Grenier avant vendredi prochain, dernier délai. C'était la condition pour que la future tenancière du CaFée accepte de venir ici, qu'elle puisse avoir un logement sur place. Donc, mon gars, désolé de te l'apprendre comme ça, mais... j'te fous dehors. »

Latte Machiavelo [Finaliste Concours Femme Actuelle x Les Nouveaux Auteurs 2024]Where stories live. Discover now