Interlude : Vivre (Deuxième partie)

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Durant quelques trop longues minutes qui me parurent s'égrener indéfiniment avant de se perdre dans les sables du temps, je n'entendis plus que le bruit assourdissant et presque agressif pour mes oreilles rendues hypersensibles par la panique de la respiration rauque et sifflante de Jérémy. En plus d'être frénétique. J'avais le sentiment d'écouter un asthmatique en train de faire un marathon. Et ça ne pouvait que mal finir. L'un de ses organes allait finir par lâcher sous la pression.

-Je...me...sens...pas...bien, haleta Jérémy d'un souffle de plus en plus court.

- Ca va aller, affirmais-je alors que mes larmes continuaient à dévaler mes joues. Ça va aller Jerem. Juste tiens le coup encore un peu d'accord ? Je sais que tu peux le faire.

Je ne savais même plus si je prononçais ses mots pour tenter de le rassurer lui ou moi. En tout cas ça ne marchait sur aucun de nous deux. Mes mains furent prises de subits tremblements, si violents que je dus les serrer fermement sur mon volant pour les contrôler. Et même ainsi, je ne parvins qu'à limiter l'étendue de soubresauts spasmodiques qui les agitaient contre ma volonté. J'avais de plus en plus de mal à maitriser les manifestations physiques de la sourde et profonde terreur qui  m'habitait. Elle me dévorait de l'intérieur, détruisant toute autre émotion éventuelle sur son passage. Je n'étais plus que ça. Je ne me résumais plus qu'à un seul mot. Frayeur.

- Jérémy ? L'appelais-je après une minute passée sans la moindre réponse de sa part.

Il ne répliqua pas et je sus. Je sus qu'il venait de perdre connaissance. Le début du compte à rebours venait de s'enclencher. Il ne restait probablement plus que quelques minutes encore pour lui sauver la vie. Après, il serait bien trop tard. Mon pied appuya vigoureusement sur l'accélérateur. Au diable les limitations de vitesse, au diable les flics. Je n'en avais rien à foutre. Une seule chose comptait. Une seule pensée obnubilait mes pensées qui la répétaient encore et encore tel un matras auquel je donnais un peu plus de force à chaque nouvelle lecture.

« Jérémy, Jérémy, Jérémy, Jérémy, Jérémy, Jérémy, Jérémy, Jérémy, Jérémy ... »

Quand je tournais enfin à l''angle de sa rue, c'est avec un immense soulagement que je vis le camion des secours stationné dans la rue, leur sirène illuminant la rue d'une lumière rouge à la fois étrangement rassurante et extrêmement angoissante, tel un sinistre présage. Je déposais sans remord ma voiture sur une place handicapée, trop anxieux et apeuré pour constater la morbide ironie de la chose. Une place handicapée pour aller voir un Jérémy Ferrari ayant besoin de soin. Ça aurait pourtant été le sujet idéal à une de ses vannes si noires. Sauf qu'il était bien trop mal pour pouvoir la faire.

Je m'engouffrais dans son immeuble, passant si vite devant le concierge qui avait laissé la porte ouverte pour les secouristes que je ne lui donnais pas le temps de m'arrêter, m'interpeller ou même me reconnaître. Je montais la volée de marche jusqu'à son étage en sautant une marche sur deux pour déboucher sur son palier. La porte de son appartement était ouverte. Alors que je m'étais rué jusqu'ici sans même me donner la peine de réfléchir et en transgressant un nombre incalculable de règles du Code de la Route, je m'arrêtais d'un coup net, tétanisé. L'intense frayeur de ce que j'allais découvrir en pénétrant dans l'appartement de mon ami me pétrifiait littéralement sur place. Comment se préparait-on à voir son meilleur ami au plus mal, entouré d'un tas de médecins ?

La réponse était évidente. On ne pouvait pas. Mais je ne pouvais pas non plus restée là sans rien faire, sans esquisser le moindre geste. Je devais entrer. Il le fallait. Comment pourrais-je me pardonner d'être resté là sans rien faire s'il lui arrivait quelque chose ? Et s'il était de nouveau conscient, est-ce que j'allais vraiment le laisser seul en compagnie d'étrangers ?  Tous ses gens inconnus rodant autour de lui alors qu'il se trouvait dans un état si vulnérable allait le terrifier je le savais. Il avait besoin d'une présence familière.

Dépendance | ⚠️EN PAUSE⚠️Où les histoires vivent. Découvrez maintenant