Chapitre 10 : Étranger

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Je levais la main, poing fermé, dans le but évident de frapper contre la porte se trouvant devant moi et de laquelle émanait une musique à peine assourdie avant de la laisser retomber le long de mon corps sans même avoir donné un coup pour m'annoncer.

« Tu n'es qu'un putain d'imbécile froussard. Un peu de cran, merde » me morigénais-je mentalement.

Je devais me tenir bêtement devant cette porte close depuis bien cinq minutes maintenant, si ce n'est plus. Je jetais un coup d'œil à ma montre. J'étais en retard. J'avais pourtant quitté mon appartement bien avant l'heure de trajet nécessaire pour me rendre chez Florent, hôte de la petite fête organisée pour l'anniversaire d'Arnaud. L'imbécile. Il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il avait fait en se portant volontaire. Il s'était fichu dans une sacrée merde. Je haussais indifféremment les épaules. Tant pis pour lui. Je n'allais pas le plaindre non plus. Il aurait dû y réfléchir à deux fois avant de prendre cette décision. En tout cas, qu'il ne compte pas sur moi pour ranger après le passage du tsunami que notre groupe d'amis formait habituellement. Alors bourrés en plus. Ils pourraient provoquer l'apocalypse à eux tout seuls.

En attendant, je me tenais toujours debout devant cette porte, parfaitement immobile à me plonger dans de vaines réflexions pour tenter de retarder au maximum le moment où je devrais entrer. Ou mieux, une raison indéniable et irréprochable de me barrer d'ici, fuir le plus vite et le plus loin possible. Sauf que j'avais fait une promesse. Et que je mettais un point d'honneur à tenir chacune d'entre elle d'où le fait que je n'en faisais que très peu. Mais Arnaud avait réussi à m'en soutirer une, bien entendu. Nouvelle preuve, s'il en était, de ma faiblesse face à cet être pourtant fait de chair et de sang comme le commun des mortels mais dont les deux pupilles émeraudes anormalement étincelantes pouvaient me faire faire vraiment n'importe quoi. Je me maudis pour la millième fois au moins pour ça.

Pourquoi n'étais-je donc plus capable de ne rien laisser m'atteindre ? Je savais le faire avant, j'étais même imbattable dans ce domaine. Où était donc passée ma froide indifférence, aussi bien face aux critiques et à la haine qu'aux piques savamment déguisées ? Mon blindage en fer inoxydable et ignifugé ne laissant pénétrer aucune émotion non désirée ? Envolée. Tout comme mon refuge. Mon si parfait sanctuaire. Avant qu'Arnaud y pénètre. Après ma dispute avec ce dernier, j'étais en effet rentré chez moi pour trouver un appartement aussi impeccablement rangé que la dernière fois que j'y étais venu. En apparence, rien n'avait bougé. Si Arnaud ne m'avait rien avoué et que mes seringues n'avaient pas disparues, je n'aurais probablement rien remarqué. Jusqu'à ce qu'après un moment d'appréhension, j'ai le malheur d'enfin me décider à entrer dans ma chambre. Là encore, rien ne semblait avoir bougé.

Pourtant, et peut-être était-ce le simple fruit de mon imagination, je crus sentir l'odeur de l'after-shave d'Arnaud planer dans l'air. Et à peine avais-je refermé la porte derrière moi que je me sentis étouffé. Cet endroit n'était plus vierge de toute présence hormis la mienne. Il avait perdu tout ce qu'il le rendait si inqualifiable à mes yeux. Il ne pouvait plus être mon sanctuaire. Il n'était plus un refuge. Je ne m'y sentais plus à l'abri. J'avais le sentiment d'être un étranger dans ces lieux qui jusqu'alors m'avaient toujours accueillis chaleureusement, tel que j'étais. Alors, j'étais sorti de mon appartement en vitesse pour flâner dans les rues de Paris, laissant mes pas me porter sans chercher à me diriger. Ce n'est qu'après six heures que j'avais pris la direction de l'appartement de Florent.

Prenant une grande inspiration pour tenter de me donner ne serait-ce qu'une once partielle de courage, je frappais enfin contre l'obstacle se dressant devant moi. Lequel s'ouvrit presque immédiatement sur le visage bien trop souriant du propriétaire des lieux. Florent semblait toujours avoir un sourire accroché aux lèvres, aller savoir comment ou même pourquoi. Il me prit dans ses bras, me serrant contre lui sans que je lui rende son étreinte que je fis l'effort de supporter sans broncher. Je ne voulais pas être là.

Dépendance | ⚠️EN PAUSE⚠️Where stories live. Discover now