Chapitre 2 : Arnaud

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Je grognais. La sonnerie de mon téléphone retentissait encore et encore telle un glas sonnant sans fin, meurtrissant mes oreilles tout en martelant mon cerveau. J'enfouissais ma tête sous l'oreiller pour protéger mes tympans hypersensibles mais rien ne semblait pouvoir arrêter ce cri strident. Bon, l'emploi du nom glas devait surement être exagéré à moins que ce coup de fil ait pour but de m'annoncer la mort de quelqu'un.

Non, ça c'est déjà fait me souffla mon esprit dans son élan d'humour noir et cynique habituel dont je me serais bien passé pour une fois. L'évocation de la mort de mes parents me donna un coup au cœur auquel je commençais à bien trop m'habituer à mon goût. Je m'habituais à ressentir la douleur mais on ne s'habitue jamais véritablement à la douleur en elle-même. Elle fait toujours aussi mal, peu importe qu'elle soit exactement la même, peu importe qu'elle soit répétée encore et encore. Jamais le corps ne s'insensibilise. Ni l'esprit d'ailleurs. A moins de l'y aider artificiellement, comme je le faisais.

Le retour de ma souffrance, mon enfer mental personnel matérialisé sur Terre, m'indiqua toutefois que la drogue d'hier soir ne faisait plus effet. Les souvenirs de ma soirée commençaient d'ailleurs à revenir lentement, par vagues, me donnant une migraine de tous les diables. Enfin, c'était un faible prix à payer pour quelques heures d'oubli. Ces quelques heures d'insouciance pure, sensation si délectable que je ne l'aurais abandonnée pour rien au monde. Cette pensée me fit réaliser que j'avais définitivement replongé et à quel point je n'avais pas envie d'arrêter.

Tout ce bruit n'arrangeait pas ma migraine en tout cas. Alors je priais. Pas un dieu auquel je ne croyais pas, mais je priais bel et bien pour un peu de silence. De toute façon, même s'Il existait, jamais Il ne m'aurait écouté, moi le gars qui se moquait plusieurs fois par semaine des religions qui le vénéraient bien qu'elles lui donnent toutes un nom différent. Mon téléphone se tut enfin et à mon plus grand soulagement le marteau-piqueur qui frappait avec grand enthousiasme dans ma tête s'apaisa quelque peu. Je bénissais le je-ne-sais-qui-ou-quoi qui venait d'exaucer mon souhait bien que je sache pertinemment qu'il ne s'agissait que d'une pure coïncidence. Il faut dire que si la drogue ne faisait plus effet, mon esprit était loin d'être de nouveau clair pour autant. D'où le fait que je bénissais également de ne plus avoir à écrire de sketch pour l'émission "On ne demande qu'à en rire." Mon esprit créatif semblait s'être totalement volatilisé. Les inconvénients de la drogue. Pas grave. En ce moment, je me contentais de faire des représentations d'un sketch que j'avais déjà joué plus de cinq cent fois sur scène, pas besoin d'être un génie pour m'en rappeler.

Lorsque la même musique s'éleva à nouveau alors que j'étais en train de retomber dans une douce torpeur, je gémis. Un peu de pitié pour mon pauvre cerveau malmené, serait-ce vraiment trop demander ? Avec un soupir las, je poussais l'oreiller qui reposait encore sur ma tête et entrouvrit à peine un œil pour constater qu'il était tout juste neuf heures et demie du matin. Objectivement parlant, il n'était pas spécialement tôt surtout pour un vendredi matin. En revanche, ça l'était beaucoup plus quand la veille au soir, au plutôt au matin dans mon cas, vous vous étiez couché aux alentours de six heures.

Mon téléphone continuait de sonner dans le vide sans que je ne fasse le moindre geste. Si je l'ignorais suffisamment longtemps, la personne au bout du fil allait bien finir par se lasser. De toute façon, j'avais une petite idée concernant son identité. Un membre de notre célèbre troupe d'humoriste Ondar ou Guillaume. Tous ne faisaient que tenter de me joindre depuis deux semaines. Je ne voulais pas décrocher. Et je ne l'avais pas fait.

Pour être tout à fait honnête, j'avais tout de même finis par répondre aux plus persistants d'entre eux. J'avais été désagréable. Je veux dire encore plus que d'habitude. Ça n'avait pas été de la gentille taquinerie - bon d'accord taquinerie tout court dans mon cas mais il ne faut pas trop m'en demander non plus ! - non. J'avais été délibérément méchant. De la méchanceté gratuite dans le but qu'ils ne me rappellent plus. Je ne voulais pas leur parler. Certains avaient tout de même voulu passer à mon appartement ou boire un café dehors mais je voulais encore moins les avoir en face de moi. Jamais je ne les laisserai voir l'état dans lequel je me trouvais en ce moment. J'avais beau porter un masque sacrément efficace devant mon public, eux me connaissaient bien trop pour que je prenne le risque qu'ils puissent découvrir que ça n'allait pas ou plutôt ce que je faisais. Parce que je ne suis pas totalement stupide, je savais qu'ils savaient que quelque chose clochait chez moi, mais ils ignoraient quoi et c'était très bien comme ça.

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