Le temps des sorcières

Sorcière malgré elle

Dans la matinée, Huni et moi avons partagé une douche. Ensuite, nous sommes descendus à la cuisine pour prendre le petit-déjeuner. Je m'étais habillé d'une combinaison noire et d'une veste sombre. Claw, Sasha, Kunsha et Candice avaient déjà pris le bus scolaire pour se rendre au lycée Saint-Odette. Huni prétendait avoir mal au ventre depuis la veille, donc elle est restée au manoir. Je lui ai raconté ce qui s'était passé avec Jaccard et elle n'a pas semblé perturbée par mes propos, car elle aussi trouvait étrange d'être réapparue de manière mystérieuse à Serafina alors qu'elle était blottie contre Joshua dans la voiture a cent a l'heure. Elle se demandait quelles étaient ses propres capacités. Je l'ai laissée poursuivre ses recherches et je suis remonté dans ma chambre en passant devant le portrait de Serafina Langtord, mon cœur s'est emballé. Que de souvenirs... ici, c'était chez moi.

En descendant au rez-de-chaussée avec mes deux valises, Jaccard, Graziella et Murielle, la directrice, étaient présents. Je ne savais pas comment réagir, car ils sont ma famille et je reviendrai. Le manoir est le seul foyer que j'ai jamais connu. En regardant Jaccard, je savais que nous nous reverrions très bientôt. Une énergie étrange nous lie l'un à l'autre. Graziella m'a remis une petite marmite de son délicieux Gombo au poulet, dont l'odeur était alléchante. C'est un plat typiquement orléanais que je dégusterai ce soir avec Maxwell, qui m'a souhaité un joyeux anniversaire par SMS ce matin. Murielle avait garé la voiture sur le petit chemin devant le portail du manoir. Huni a rapidement descendu les escaliers et est arrivée dans mes bras.

- Plus que quelques semaines, ce n'est pas si long, n'est-ce pas ?
-Oui, je le sais... Naya."

Dans le break familial du Manoir Serafina, je remarquai Huni se tenant sur le pas de la porte, le manoir sombre et les silhouettes des arbres squelettiques disparurent dans un joli brouillard lorsque la voiture s'éloigna. Murielle était au volant et me confia avec émotion : "Tu seras toujours chez toi ici, ma chérie, n'oublie jamais cela... Quand je t'ai trouvée devant le manoir cette nuit-là, ce fut une bénédiction..." Elle prit ma main et la serra fort, les yeux embués dans le rétroviseur. Je l'aimais...

Dans le lumineux cabinet de la juge Donovan, la greffière en tailleur bleu foncé assise à sa droite prenait des notes méticuleusement. La juge Donovan avait de bons échos de mon long séjour au manoir mais elle semblait moins sûre d'elle aujourd'hui, inquiète dirai-je. Une légère transpiration perlait sur son front.

- "Nous avons reçu une lettre de votre mère..."

Le temps s'arreta, Je n'en croyais pas mes oreilles. D'abord, j'apprends que je suis une sorcière, et voilà que le jour de mon anniversaire, ma mère se manifeste...

- Êtes-vous sûre de vouloir prendre contact ? Votre mère a renoncé à ses droits à votre naissance, mais maintenant que vous avez atteint votre majorité, la décision vous revient de la faire entrer dans votre vie, ou non. Cette décision vous appartient.

J'ouvris la lettre devant la juge et Murielle. Une carte de visite glissa de l'enveloppe portant le nom d'Ava Adiaz, ma génitrice a une galerie d'art...

Plus tard dans la journée, Murielle me déposa à Frenchmen Street, me serrant dans ses bras avant de repartir avec le break familial, chargé de tant de souvenirs.

Mon chez moi. Les déménageurs avaient apporté une partie de mes meubles, mais je me suis contentée de faire mon lit. J'ouvris les portes-fenêtres de mon studio au premier étage, où les klaxons joyeux des voitures s'enchaînait. J'ai allumé ma petite radio sur une station FM diffusant une chanson au rythme jazzy et soul. Je savourai l'air frais de la liberté, tandis que le bus scolaire déposait mes camarades de Serafina au manoir.

À dix-neuf heures précises, son doux visage apparut sur l'écran du parlophone. Vêtu d'un jean délavé et d'un t-shirt bleu. Je fond devant son look hyper rock boy des années quatre-vingt-dix de Maxwell.  L'instant d'après, je me suis précipitée sur lui avec fougue. Il s'est cogné contre la porte d'entrée, faisant tomber les sacs et mon mini gâteau d'anniversaire qui s'est écrasé au sol.

Nous nous sommes retrouvés par terre, enlacés, et il m'a embrassée tendrement. Fini le temps où nous ne nous voyions qu'une fois par semaine à la bibliothèque. Maintenant que je suis majeure, Maxwell et moi ferons ce que bon nous semble. Après nos ébats amoureux, hot,  j'ai profité pour prendre une douche. La carte de visite de ma mère biologique est tombée de ma poche " un jour, il faudra bien que je me décide à la contacter" pensais-je frustré, les yeux fixés sur cette petite carte noir et blanc.

Nous avons savouré le gombo de Graziella, c'était un véritable délice. Nous avons dîné à la japonaise, les plats posés au sol et nous étions assis sur des oreillers, ce qui ajoutait une touche de romantisme. Tout au long de la soirée, j'ai eu envie de parler à Maxwell des révélations de Jaccard, de la traque des chasseurs Shaman à mes trousses. Et cette carte de visite me donnait des informations sur ma mère, Ava. Je me posais mille et une questions, alors ce soir-là, j'ai vidé mon sac auprès de Maxwell. Ce qui était incroyable, c'est qu'il m'écoutait sans me juger. Il m'a fait comprendre que personne ne pouvait prendre une telle décision à ma place, que je devais me préparer à affronter Ava et à résoudre cette histoire de sorcière au plus vite. Il me croyait, Maxwell me croyait car sa grand-mère était une guérisseuse traditionnelle qui lui racontait toujours des histoires de magie et d'anciens peuples amérindiens.

Cependant, après avoir soufflé ma bougie cette nuit-là, j'eus tout de même du mal à trouver le sommeil. J'angoissais. J'avais l'impression que mon cœur allait bondir de ma poitrine. Je transpirais. Je suffoquais. Je me suis extirpée délicatement du lit, laissant Maxwell profondément endormi.

Après avoir bu un verre d'eau rapidement, j'entame des recherches sur en ligne, autour du chamanisme et le vaudou. Le vaudou est une religion originaire d'Afrique qui s'est répandue à La Nouvelle-Orléans dès le XVIIe siècle avec l'arrivée des hommes et des femmes capturés et réduits en esclavage en Amérique. Cette religion a donné naissance à différentes branches et pratiques, dont le chamanisme vaudou qui est bien connu dans la région. Mais je n'ai trouvé aucune référence à Ekiesha, la chasseuse de sorcières chamane.

J'ai ouvert la porte-fenêtre du salon, ma tête manquait d'oxygène. Mon souffle s'accélérait et la pleine lune brillait dans la nuit noire. J'ai bu un deuxième verre d'eau et pris la petite carte de visite.

Tenant mon téléphone portable, j'ai enfin décidé d'appeler Ava Adiaz. La carte de visite indiquait les heures d'ouverture de la galerie d'art : de onze heures à vingt-deux heures, du lundi au dimanche. Même si j'étais convaincue qu'elle ne répondrait pas, que je tomberais sur le répondeur, il était déjà minuit passé, je voulais savoir. Une, deux, trois sonneries plus tard une femme décrocha.

- Ava Adiaz, j'écoute... ?
J'étais figée, bouche bée...
- ...Monaya... ?

J'ai raccroché aussitôt, Ava savait que c'était moi. Maxwell est apparu dans la sombre pièce. Il était inquiet. J'étais assise par terre, je l'ai rassuré avec un câlin et un sourire. Il m'a entraînée dans le lit. Ava Adiaz était dans le même état que moi, éveillée à cette heure tardive de la nuit. Sa voix était douce et jeune. J'étais comme hypnotisée. Ma décision était prise, je devais la rencontrer. Pour la première fois en dix-huit ans, je ne me sentais plus si seule au monde. Alors que je fixais le plafond comme un zombie, Maxwell m'a serrée fort contre son torse nu et chaud.

Le lendemain matin, sous un soleil éclatant, les meubles ont été livrés à onze heures. Maxwell, qui avait découvert une passion pour le montage de meubles, m'a confié que cela lui rappelait les jeux de Lego de son enfance, qu'il aimait démolir après les avoir construits. À midi pile, Maxwell dévora les sandwichs à l'omelette au thon épicé que je lui avais préparés.