À table

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Le jour où Huni a fugué, elle n'a pris que quelques vêtements avec elle. Sa mère adoptive, Rosalie Warauld, a alerté la police après quatre jours d'absence. Cette dernière, devenue alcoolique et négligeant sa fille, avait été déchue de ses droits parentaux. La juge, Diane Donovan, a ordonné le placement de Huni au manoir Serafina, où elle a réussi à s'intégrer malgré son caractère bien trempé qui lui a occasionné quelques frictions avec certaines résidentes, dont Claw, une jeune fille androgyne d'origine asiatique. Dans deux mois, cette dernière quittera le manoir pour vivre seule, à côté  d'elle se tenait Kusha, la plus jeune des résidentes. Séparés en deux groupes, les autres filles allaient prendre leur repas au salon du rez-de-chaussée. Mademoiselle Graziella, l'éducatrice du manoir, les y conduisait en plaisantant sur le fait qu'elle n'avait plus l'énergie de ses vingt ans, où elle se serait déjà mariée avec un beau jeune homme.

Le salon, bien que vieillot et kitch, avait une vue magnifique sur le parc depuis sa grande fenêtre, contrairement au reste de la maison, plongé dans l'obscurité.

Ce soir-là, Huni était d'humeur exécrable et se plaignait des patates qu'on leur servait tous les jours. 

"Du lundi au dimanche, que des patates, il y en a marre !" se plaignit-elle.

Cette remarque nous fit marrer.

"Bienvenu au manoir," ajouta Claw en riant.

"La ferme toi," lui renvoya Huni.

Graziella, l'une des éducatrices, arriva à ce moment-là.

"Mademoiselle désire un repas d'aristocrate ?" demanda-t-elle avec un sourire.

"Non, pas forcément, du riz ça fera l'affaire..." répondit Huni.

"Mange, et sois contente qu'il y ait de la nourriture dans ton assiette, peut-être que tu auras du Gombo la prochaine fois..." ajoutai-je, taquin.

À part les pommes de terre quotidiennes, servies sous forme de frites, purées ou encore à la vapeur qui nous sortent par les oreilles,  l'autre problème de la maison est la vaisselle. Chaque jour, c'est chacune à son tour. Deux ou trois filles désignées aux tâches ménagères s'amusent souvent au jeu préféré de la maison ; qui consiste à projeter des œufs durs par la fenêtre du premier étage, ce qui nous vaut régulièrement un passage au cachot ou plutôt la Cellule de meditation situé dans la cave, surtout quand cela atterrit sur Jaccard ou une des éducatrices.

"Fait gaffe Huni, Graziella peut te jeter un sort," blaguai-je.

Huni frissonna. La superstition avait la peau dure chez elle.

Le temps des sorcièresWhere stories live. Discover now