Le temps des sorcières

L'HEURE DES SORCIÈRES

À ma naissance, ma mère biologique m'a donné le prénom de Monaya. Après m'avoir accouchée, elle m'a confiée à l'orphelinat du manoir Serafina situé au 21 rue Cabanes à La Nouvelle-Orléans. La directrice m'a alors donné le nom du saint du jour, Alban, ce qui a fait de moi Monaya Alban. Dix-sept ans et demi plus tard, alors que je faisais des recherches à la bibliothèque, j'ai découvert que Monaya signifiait "Temps" dans une langue perdue du peuple Shona d'Afrique. Avec ma peau brune, ma chevelure laineuse et bouclée, l'histoire de La Nouvelle-Orléans me ramenait toujours à ce point culminant de l'esclavage du siècle dernier. Ainsi, à travers mon prénom, j'ai supposé que mes ancêtres appartenaient à ce peuple, dont je ne connaissais pas grand-chose.

J'ai toujours vécu dans la commune de Sainte-Odette, où je suis née. Dans trois jours, je serai majeure et je quitterai Serafina. Le manoir était réservé aux filles, et seulement six d'entre nous pouvaient y vivre jusqu'à notre majorité. Ensuite, nous devenions complètement autonomes. Ici, on nous apprend les bonnes manières. Le manoir n'était pas tenu par des nonnes, mais plutôt par des éducatrices. Le seul homme que vous rencontrerez dans le coin est Jaccard, un cinquantenaire qui est le gardien du manoir Serafina. Il vit au fond du jardin dans sa maisonnette, et je l'ai toujours connu. Côté vestimentaire, il n'a qu'un style : une salopette en jean bleu, une veste marron par-dessus, une paire de bottes noires façon cowboy, et le plus remarquable : sa longue et fine moustache qui lui donne un air mystérieux depuis tant d'années, sans oublier sa vieille carabine de chasse. Jaccard est l'emblème vivant des lieux.

Il y a trois semaines, j'ai commencé à travailler comme serveuse les weekends dans un restaurant de fruits de mer, le JAM, situé à Bourbon street, une célèbre rue regorgeant de restaurants, de bars et de boutiques vaudous. Ce job de serveuse tombait à pic pour mon emménagement dans le quartier de Frenchmen street, où je m'installerai avec ma meilleure amie, Huni, au premier étage d'un immeuble bordeaux de style colonial. Huni devra patienter quelques semaines avant de me rejoindre.

Mon départ est prévu pour le jour de ma majorité, le lundi 22 juin, durant la fête du solstice d'été, fortement mythifiée à La Nouvelle-Orléans.