Le temps des sorcières

Hors temps II

Van Helle sortit de l'épicerie sans se douter de quoi que ce soit. À peine sommes-nous arrivées sur le terrain de basket que Candice courut à toute vitesse pour tout révéler à l'éducatrice. Cette dernière fit tomber ses bouteilles d'eau et ses tartines au fromage, puis commença à compter les résidentes du manoir. Van Helle nous interrogea une à une, Claw, les autres et moi niâmes tout en jurant de n'avoir rien vu concernant la fuite de Huni. Candice affirma que nous étions témoins de la fugue, mais elle fut rapidement scandalisée que Claw, Kusha et Sacha ne la soutiennent pas dans ses accusations. L'éducatrice était au bord de la crise de nerfs.

"Je vous laisse une minute et voilà ce qui arrive! Ses conneries sont insupportables! Dois-je vous attacher pour une sortie, bordel!?". Le chemin du retour au manoir fut peu joyeux, entre les menaces de Van Helle et les regards noirs de Candice, garder le silence était un exploit pour nous toutes.

L'éducatrice questionna chaque passant au sujet de la décapotable rouge mentionnée dans le récit de Candice. J'avais peur des conséquences de la petite fugue de Huni et je n'étais pas sûre de la revoir avant un bon moment. Mes pensées se bousculèrent dans ma tête :

"Mais qu'est-ce qui lui est passé par la tête? Pourquoi a-t-elle fugué aujourd'hui?".

Nous avions déjà parcouru une bonne distance, et Van Helle continuait de questionner chaque individu qu'elle apercevait dans la rue. Elle devenait très agressive avec les passants, à la limite de l'hystérie. Claw et Sacha essayèrent de la calmer en faisant semblant de l'aider dans ses interrogatoires, mais cela faisait déjà une heure que Huni avait fugué et l'éducatrice n'avait pas encore averti la police ou la directrice du manoir Serafina. Croyait-elle qu'un miracle allait se produire? Qu'un ange allait apparaître et nous ramener Huni saine et sauve?

Soudain, Van Helle fit brusquement demi-tour et nous entraîna dans le Crown-bar. À l'intérieur, Tracy Lee Chamary, le fils de la propriétaire, nous accueillit derrière le bar, avec ses longues dreadlocks tombant sur son visage. Chamary était connu pour être un surdoué de Sainte Odette, mais également pour son penchant pour Claw l'androgène. Il était le point de chute de tous les élèves en retard pour leurs devoirs difficiles. Cependant, en début d'année, il avait été collé pendant une semaine après que le directeur ait découvert que toute l'équipe de basketball avait rendu exactement la même copie d'histoire - pas très malin... Pendant notre visite au bar, Chamary était occupé à régler un problème avec sa chaîne hi-fi.

Les clients n'avaient pas d'autres choix musicaux que Bob Marley ou Bob Dylan, mais cela ne dérangeait personne. Pendant ce temps, Van Helle, au plus bas de sa forme, s'essayait au bar en commandant un Bloody Mary, tandis que les filles et moi restions sur la terrasse. Claw, quant à lui, alla flirter avec Chamary, qui ne faisait que le faire espérer, ce qui déplaisait à Van Helle. À cinq heures de l'après-midi, le bar fut envahi par les fidèles du quartier, mais notre chère Huni n'était toujours pas de retour.

Van Helle, passant du Bloody au rhum, devint un peu pompette et retira ses sandales ainsi que son manteau, révélant sa robe longue au décolleté plongeant qui fit rougir Chamary. Cela n'a pas plu à Claw, qui me rapporta quelques informations croustillantes dans les toilettes.

"Candice veut se venger de la journée d'hier. Elle nous suspecte d'avoir volé son cristal."

Claw essaya de nous défendre, mais connaissant Candice, lorsqu'elle a une idée en tête, il n'y a plus rien à faire. Huni, Candice, Van Helle et même Claw commençaient toutes sérieusement à m'agacer. Un antidépresseur n'aurait pas été de refus. Sur la terrasse, le soleil nous brûlait la peau, tandis que je dégustais savoureusement mon jus de grenade hyper frais. Chamary fit enfin fonctionner sa chaîne hi-fi en fond sonore du reggae, et je fredonnais.

Je sentais mon esprit s'extirper de mon corps, comme un ballon que l'on dégonfle. Je m'envolais à la recherche des pièces manquantes de ce puzzle qu'est ma vie. J'entendais les voix lointaines de mes camarades sur la terrasse du Crown Bar...

Mais soudainement, un tourbillon me fit tomber sur du sable blanc, mes pieds et mes orteils en étaient recouverts. Le soleil rayonnait de mille feux sans me brûler, sans être étouffant comme sur la terrasse. J'étais sur une plage et la mer qui faisait des vagues était face à moi. J'entendais des bourdonnements d'abeilles, mais ne voyais pas d'insecte. La silhouette d'une femme se dessina à ma gauche, mais elle était trop loin. En plissant des yeux, je voyais sa majestueuse robe rouge, elle courait vers moi et cria : « Monaya... » quel était cet endroit, pensai-je ?

"Ça va, frangine, tu dors ?"

"... J'étais de retour sur la terrasse..."

"Je somnolais juste... "Chamary se tenait devant moi.

"Tu veux que je t'apporte un autre petit remontant ?"

J'acquiesçais d'un signe de tête. Ce rêve avait l'air tellement réel, comme la vision d'un moment qui s'était déjà déroulé dans une vie antérieure.