Le dilemme de Huni

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Le gardien, Merlot et Kusha sont rentrés de nouveau dans le manoir. Kusha avait bu beaucoup de rhum dans le grenier, ce qui transparaîtra dans son haleine. Dans le couloir, le gardien a subitement levé les yeux au plafond et a croisé mon regard.

― Que fais-tu hors de ta chambre?" demande Merlot à Kusha.

― Les toilettes au deuxième ne fonctionnent pas !"

"Je te soupçonne d'avoir volé une clé de l'armoire à vin", déclare Merlot. "Comment se fait-il que je n'aie rien entendu ? Cette maison n'a-t-elle donc pas d'alarme ? Répondez-moi, vous qui êtes là depuis des siècles !" s'exclame Merlot à Jaccard, carabine à la main.

― Je suis l'alarme de cette maison", répond Jaccard. "Je peux vous assurer que cette petite n'a rien fait. Les toilettes sont effectivement en panne, j'aurais dû vous prévenir. Je m'en occuperai à la première heure demain."

― Kusha, je ne veux plus te voir dans les couloirs. Je vais faire un rapport à Muriel !" menace Merlot, croyant l'histoire des toilettes.

Jaccard aurait pu nous dénoncer, mais il ne l'a pas fait. Il nous a encore sauvées. Sans lui, nous n'aurions pas réussi à nous en sortir. Au deuxième étage, dans les dortoirs, chaque résidente a regagné sa chambre, mais les lumières du couloir se sont rallumées et l'éducatrice est venue vérifier que nous étions toutes dans nos lits. À cinq heures et demie du matin, toutes les filles du manoir Serafina ont enfin réussi à s'endormir. Sous ma couette, je m'interrogiez encore sur la manière dont le miroir était tombé, car c'était un objet lourd, pas une babiole, et j'ai également entendu des bruits de pas sur le toit du manoir... de qui s'agissait-il ?

                                                             ***

Après une grasse matinée bien méritée ce dimanche matin à dix heures trente, toutes les filles se sont présentées dans la cuisine. Certaines affichaient des gueules de bois, d'autres non, mais le petit déjeuner n'avait jamais été aussi agréable. Candice, assise au bout de la table, boudait encore. Les filles s'entendaient à merveille. Merlot s'en est allée après avoir informé sa collègue des événements de la nuit dernière, elle avait l'air épuisée. Autour de la table, Huni a pris la parole, la bouche pleine de crêpes au miel. 

― Qu'allons-nous faire cet après-midi, mademoiselle ? 

― Une petite balade en ville, ça vous dit ? C'est agréable de vous voir parler et non crier les unes sur les autres, a répondu Van Helle avec sa tasse de café en main.Il y a eu un grand silence, puis toutes les filles ont éclaté de rire : après le petit déjeuner, elles allaient au fumoir, comme à leur habitude. 

― Joshua sera sur le terrain de basketball, nous a annoncé Huni.

 ― Quoi ? Tu veux fuguer encore et/ou comptes-tu y aller cette fois-ci ?Huni m'a regardée avec insistance, alors j'ai compris... je devais me mêler de mes affaires. 

― Chut, Merlot est dans le couloir ! 

― Ouvre les yeux, il se moque de toi, ce gars, en plus il a une réputation de tombeur au lycée ! 

― Va te faire foutre, Naya ! Tu ne le connais pas ! 

Cela m'a rendue folle. Huni était aveuglée par ce gars, rien de ce que j'aurais pu dire ou faire n'allait la dissuader de passer l'après-midi avec nous. Huni se mettait dans une sacrée situation et il ne la raisonnait pas. Sa soudaine disparition serait remarquée, c'était sûr. Une nouvelle visite de la police se profilait pour une déclaration de fugue. 

Tout cela serait consigné dans un rapport au tribunal de la jeunesse et notre aménagement à deux allait encore prendre du retard. Je l'ai laissée dans le fumoir allumer une énième cigarette et je suis montée dans ma chambre. La carte d'anniversaire reçue par Jaccard, le gardien, était toujours posée sur mon lit. J'ai attrapé mon journal et mon stylo à plume sur ma table de chevet. J'avais une folle envie d'arrêter le temps et de déverser mes pensées sur une page blanche.

Le temps des sorcièresWhere stories live. Discover now