Le gardien

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Van Helle se tenait debout au bar, apparemment remise de ses émotions. Elle discutait tranquillement avec Sacha et Kusha, avant d'aller payer l'addition du groupe.

Kusha vint s'asseoir à côté de moi sur la terrasse et me chuchota à l'oreille que Jaccard avait appelé l'éducatrice pour lui demander que nous retournions au manoir. Nous avons quitté le Carré Français et sommes montés la rue Cabanes. Le ciel s'était subitement assombri et un vent léger annonçait l'approche d'une tempête.

Nous avons traversé le parc sur le petit chemin menant au manoir, alors que Jaccard jardinait et arrachait les racines du sol. Il ne serait pas étonné d'apprendre les événements de l'après-midi.

Van Helle essayait de faire comme si de rien n'était, mais il était clair que les choses étaient mal parties. Si quelque chose arrivait à Huni ou Joshua, la police devrait être prévenue. Van Helle serait directement mise en cause, ai-je confié à Kusha. Cependant, elle n'était pas en état de réprimander qui que ce soit.

Arrivés devant le portail du manoir, le gardien Jaccard nous a accueillis. Van Helle nous a renvoyés dans nos dortoirs et depuis ma fenêtre, j'ai observé le va-et-vient du gardien qui semblait très occupé. Van Helle est ensuite sortie et s'est dirigée vers Jaccard. Ils se sont arrêtés tous les deux près du chêne. J'étais certaine que l'éducatrice avait déjà alerté la police, qui devait être à la recherche des fugueurs. Ce Joshua était pire qu'un chewing-gum collé sous la semelle de Huni.

***

Les filles étaient toutes dans leurs chambres lorsque Van Helle poussa un cri au rez-de-chaussée.


"Quoi !" Son cri résonna dans tout le manoir, et les résidentes sortirent de leurs chambres. Nous les espionnions en bas des escaliers. Van Helle demanda à Huni où elle était passée. Huni répondit qu'elle ne se sentait pas très bien et que c'était pour cela qu'elle était revenue à Serafina...

Van Helle cria qu'elle devait prendre l'air ou elle allait en étrangler une ! Huni racontait des mensonges et simulait un mal de ventre, mais le plus important était qu'elle était là avec nous, sous le même toit.

Nous nous dispersâmes lorsque l'éducatrice et Huni montèrent les escaliers. Van Helle l'accompagna dans sa chambre, après lui avoir fait avaler un antidouleur. L'éducatrice lui promit d'appeler un médecin si son état s'aggravait. Van Helle retourna dans son bureau et s'y enferma. Avec tout ce qu'elle avait bu au Crown-bar et le choc de cette disparition, l'éducatrice pétait carrément un plomb.

Pour ma part, je me posais toujours autant de questions. Pourquoi Huni était-elle là ? J'avais vu de mes propres yeux la petite voiture rouge partir à toute allure, avec Huni à bord. "Peut-être qu'elle et Joshua se sont disputés ? Joshua l'aurait larguée après le virage dans la rue Golidav ?" pensais-je. "Cela me semble improbable, ils s'aiment tellement ces deux-là ! Alors qu'est-ce qui lui avait fait changer d'avis ?... Jaccard, bien sûr ! Il saura me répondre."

Je me précipitais dans les escaliers jusqu'au rez-de-chaussée lorsque Jaccard sortit du bureau de la directrice absente. Il tenait une pelle à la main."Est-ce qu'il a enterré Joshua dans le jardin ?" Me demandai-je.


"Ne devrais-tu pas être dans ta chambre, Monaya ?" me répondit-il.

Je m'arrêtai devant le bureau et lui expliquai que je voulais m'assurer que Huni allait bien.

Il ne me laissa pas le temps de répondre et me tendit sa pelle en disant : "Oh non, mes empreintes vont se retrouver dessus... Je serais accusé du meurtre de ce fou de Joshua !"

Jaccard me fit signe de le suivre dans le jardin. C'était la dernière fois que j'aurais une conversation avec lui. Il ouvrit la porte de sa maisonnette, déposa son outil dans un coin de la cuisine et rinça ses mains dans le lavabo. Puis il me demanda d'un signe de tête de m'asseoir. Il attrapa sa carabine près de la cheminée et je me mis à paniquer, pensant qu'il allait m'assassiner. Mais il la posa sur la table et me servit un chocolat chaud sans même me demander si j'en voulais un. Cette attention me fit plaisir, mais je sentais que ma tête allait exploser tellement les questions se bousculaient dans ma tête.

"Les as-tu empêchés de fuguer ?" demanda Jaccard.

"Non et oui, je lui avais dit de ne pas le faire", répondis-je.

"Non, tu ne comprends pas le sens de ma question... As-tu arrêté le temps ? As-tu pensé une seconde à ralentir leur acte ?"

"Maintenant c'est moi qui ai perdu", lâchai-je sans réfléchir.

Il sourit.

"Réfléchis, quelles ont été tes pensées quand Huni s'est enfui ?" continua-t-il.

"Je voulais que la voiture s'arrête et que Huni fasse demi-tour", répondis-je.

"Je pense, Naya, que tu leur as jeté un sortilège, le hors temps. Je les ai retrouvés, immobiles, bloqués dans la voiture en haut de la rue des cabanes. C'est là que j'ai compris. Le temps s'était arrêté et comme tu ne maîtrises pas encore ton talent, le temps a repris son cours quelques minutes plus tard. Mais j'avais déjà extirpé Huni de la voiture. Joshua a eu la peur de sa vie lorsqu'il a remarqué l'absence de sa belle à ses côtés. Tu as failli causer un accident..."

"Quoi ? Très drôle, Jaccard", répondis-je.

Le gardien du manoir but une gorgée de son petit verre de cognac, l'air très sérieux, et prit lentement mais sûrement la carabine sur la table. C'est à ce moment-là que mon cœur s'emballa de nouveau. Les événements qui suivirent me laissèrent estomaquée...

Le temps des sorcièresWhere stories live. Discover now