Bagarres et confidences II

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Plus tard dans la matinée, Mademoiselle Van Helle et moi avions rendez-vous avec le propriétaire de mon futur studio, Monsieur Rolander, afin qu'il me remette les clés. J'ai tellement hâte d'y être ! Mademoiselle Van Helle est un peu excentrique, mais je l'apprécie. Elle est fiancée à un agent immobilier d'origine allemande et en est follement amoureuse. Toutes les filles de la maison, y compris ses collègues, connaissent ses histoires de couple.

Après ma douche, je suis retournée dans ma chambre. Cela faisait déjà une semaine que mes valises étaient bouclées. J'ai hâte d'avoir plus d'espace ! J'ai enfilé une mini-jupe en jean, un top blanc et mes bottes à lacets. J'ai attrapé mon sac bandoulière coloré et en jetant un coup d'œil par-dessus le rempart de l'escalier, au rez-de-chaussée devant le bureau des éducatrices, en face du fumoir, j'ai remarqué le parapluie fuchsia de la seconde éducatrice du weekend, la jeune Mademoiselle Merlot.

Daniella Merlot vient du Sud-Ouest de la France, de la région Midi-Pyrénées. C'est une jeune brune de trente ans qui adore les robes à fleurs et porte des lunettes grosses comme des pneus de voiture, disent les filles du manoir. Elle parle peu, voire pas du tout de sa vie en dehors du manoir, j'ai toujours trouvé Merlot très mystérieuse. 

La fenêtre de la cuisine laissait pénétrer les rayons du soleil au-delà des arbres  : cela m'a donné le courage d'affronter la journée et peu importe les obstacles. Après une salade de thon épicée et un jus d'orange, Van Helle n'était toujours pas dans les parages. Faisant les cent pas au rez-de-chaussée, j'hésitais à me rendre dans les dortoirs des éducatrices pour secouer un peu Mademoiselle Van Helle. Mais en avançant dans le couloir menant aux dortoirs, j'entendis des cris de douleur venant du fumoir : Claw et Candice étaient en train de se disputer. J'essayai d'écouter discrètement, mais leurs paroles étaient déjà claires : 

― Tu m'as troué l'œil, grosse morue ! envoya Claw à Candice. 

― Tu aurais dû tenir ta langue, Sacha m'a tout raconté... 

― Je n'ai rien dit du tout... 

― Ne m'espionne plus ou... 

― T'es qu'une salope ! 

Les nouvelles étaient juteuses, et je me retrouvais avec l'oreille collée à la porte du fumoir. Mais soudain, des talons résonnèrent derrière moi. Je jetai un coup d'œil rapide, c'était Mademoiselle Van Helle, habillée de noir comme si elle se rendait à un enterrement. Sans hésiter, je franchis la porte du fumoir avec un grand sourire aux lèvres. 

― Tu n'es pas partie pour ta visite, Naya me questionne Candice, surprise de me voir.Candice était comme un enfant de deux ans qu'on venait de surprendre en train de faire une bêtise. 

― Laisse-la tranquille, tu es pathétique, lui répondis-je. 

― Mêle-toi de ce qui te regarde ! hurla-t-elle. 

― Hum...Claw se mit devant le miroir pour se regarder, mais une demi-seconde plus tard, elle s'effondra au beau milieu du fumoir. 

Mademoiselle Van Helle entra dans la pièce, se mit en colère en constatant les dégâts. Je craignais que Candice ne puisse échapper au cachot. Je lui étais reconnaissante des tickets de concert qu'elle m'avait vendus à moitié prix, mais là, c'était de trop. Elle avait affreusement amoché Claw. Ces derniers mois, je ne portais pas Claw dans mon cœur. Pauvre Claw, elle aimait tant se mêler de tout ce qui ne la regardait pas ! Si seulement elle pouvait se concentrer davantage sur ses études plutôt que sur son apparence et les commérages, elle ne se retrouverait pas dans cette situation.

Les cloches de midi sonnèrent dans la petite ville campagnarde de Saint Odette, et Van Helle, qui avait appelé une ambulance, était toujours scotchée au bras de l'ambulancier qui avait réussi à ranimer Claw. L'éducatrice me fit attendre devant le bureau de la directrice pour mon rendez-vous de treize heures. Quand ils sortirent enfin du bureau, accompagnés de Claw éveillée, la résidente en état de choc se tenait sous le tableau de la mère fondatrice des lieux, Serafina Langtord. Van Helle fit part de l'incident à sa collègue, mademoiselle Merlot. Le silence qui régnait dans le manoir ce matin-là fut de courte durée. Une demi-heure après son arrivée, l'ambulancier reprit le chemin de l'hôpital. Mon rendez-vous à Frenchmen Street risquait de tomber à l'eau tant que Candice n'était pas sous les verrous, pensai-je égoïstement devant tous ces va-et-vient.

Entre-temps, Sacha, frêle, avec une serviette enroulée autour d'elle, cheveux  encore mouillés, débarqua au rez-de-chaussée. Elle essaya de persuader Claw de porter plainte auprès de la police, mais en vain. Claw avait peur des répercussions, cela n'aurait fait qu'empirer les choses. Je me doutais bien que Sacha n'était pas innocente dans cette dispute. Huni, en training gris, débarqua au rez-de-chaussée en trombe, comme sortie d'un ring de boxe.

Le temps des sorcièresOnde histórias criam vida. Descubra agora