Chapitre 24

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August


Le temps s'échappe. Je ne le vois plus passer.
April enchaîne les entraînement personnels et coaching auprès des enfants. Si au début elle ne semblait pas convaincue, elle a maintenant l'air prendre ses marques petit à petit et de trouver sa place.

« Donc, je lui ai dit de ne pas toucher aux patins. Ils venaient d'être affûtés et étaient en conséquence très coupant. Et devine ce qu'il a fait ? »

« Il a touché aux patins ? »

« Il a touché aux patins, et s'est coupé ! »

J'explose de rire devant sa mine défaite et elle me lance un regard assassin.

« Ce n'est pas drôle August. Il y avait du sang de partout. Ce n'était pas très profond mais il a fallu le calmer, le soigner et tout nettoyer t'imagines ? »

Mes exclamations repartent de plus belle.

« J'aimerais bien t'y voir, » dit-elle en croisant les bras, la mine renfrognée.

« Je viens quand tu veux. J'adore les enfants. »

« T'es bizarre. Ce sont des démons, on ne me convaincra jamais du contraire. »

« Tu ne trouves pas que t'exagère un peu ? »

« Non. Il faut être maso pour vouloir, de soi-même, travailler avec eux. Et dire que je l'envisageais passé un temps. »

« Au moins t'es tombée avec un bon collègue. »

« C'est vrai que c'est déjà ça ! Il faudrait que tu le rencontres un jour, je suis sûre que vous vous entendriez à merveille, » me dit-elle, des étoiles dans les yeux.

« Un jour peut-être, qui sait ? »

Nous marchons l'un à côté de l'autre, profitant de l'extérieur avant que le temps ne se dégrade à nouveau. Le sol est recouvert de gravier et j'essaye tant bien que mal d'avancer avec mes béquilles, sans tomber. Si ça ne tenait qu'à moi, je les aurais déjà jetées par la fenêtre. Mais April me passerait un savon si elle le savait.

« Essaye de ne pas trop en faire non plus, tu as l'air épuisée en ce moment, je m'inquiète, » lui confie-je tout bas.

Elle relève la tête vers moi et me lance un grand sourire.

« Oh mais je vais très bien. C'est gentil, mais tu n'as aucun souci à te faire. C'est sûr que faire autant de sport en une journée est fatiguant, mais je ne suis pas la première à le faire et je ne serais sûrement pas la dernière ! »

Je l'observe, peu convaincu. Ce n'est pas parce que beaucoup le font que ce n'est rien.

« Si tu le dis. Je te fais confiance. »

« D'ailleurs, tu sais pourquoi Lise voulait nous voir ? »

« Aucune idée. Sûrement pour remplir des papiers. Après tout, les inscriptions pour ta compétition approchent. »

« Toute cette paperasse est infernale. J'ai l'impression d'avoir déjà rempli des centaines de documents. »

Elle s'étire et enfouie ses mains dans ses poches. Sa frange se fait malmener par le vent, et pourtant je ne peux m'empêcher d'être fasciné. Lorsqu'April est à mes côtés, le temps semble s'arrêter et un sentiment innommable me submerge tout entier. Drôle de phénomène, aussi étrange qu'inconnu. Agréable et fatiguant, sur lequel je n'ai aucun contrôle. En un mot : terrifiant.

« Si jamais tu as besoin d'aide je suis là. Compte sur moi pour t'aider du mieux que je peux. »


***


Nos prédictions se sont avérées justes. La société a beau être en constante évolution et se moderniser chaque jour un peu plus, une chose ne change pas, les procédures compliquées. Chaque petite inscription prend un temps monstre, avec des dizaines d'attestations et de signatures à réunir. Ça faisait longtemps que je n'avais pas vu Lise aussi remontée. J'ai profité d'un moment d'inattention de sa part pour fuir. April m'a jeté un regard noir, mais quelques secondes trop tard, puisque je franchissais déjà la porte à ce moment-là. Je pars respirer dehors quelques secondes. Dernièrement, je me suis rendu compte que ce n'était pas si difficile que ça finalement, de respirer. Ma main se balade dans ma poche et trouve le dernier paquet de cigarette que j'ai acheté. Je le laisse où il est, me promettant intérieurement de le jeter quand j'en aurais l'occasion. Je m'apprête à retrouver les autres avant que mon absence ne se fasse trop remarquer. Mais des exclamations me parviennent du bout du couloir et je m'arrête. Au détour de ce dernier, deux silhouettes se dessinent. Je reconnais Gabriel ,de dos et m'arrête net pour ne pas me faire repérer. Face à lui se tient April, tout sourire. Elle lui parle avec jovialité, et il lui répond sur le même schéma. Depuis quand se connaissent-ils ? April, je ne sais comment, m'aperçoit et m'adresse de grands gestes. Je ne peux plus faire marche arrière. Je m'avance et les rejoins donc.

« Voilà notre fugueur, » me lance-y-elle sur un ton de demi-reproche.

« Je n'ai pas fuis, il fallait que j'aille aux toilettes. »

« Je vais faire comme si je te croyais. »

« La prochaine fois je t'emmène avec moi si tu veux. Tu pourras même me passer le papier toilette. »

Elle me toise avec une mine dégoûtée, puis son attention dérive sur Gabriel, que j'avais presque oublié.

« Je suis désolée, » lui dit-elle. « Voici mon pseudo coach August ! Il n'est pas toujours très avenant mais ce n'est pas quelqu'un de mauvais. »

Gab affiche un air amusé. Je n'aime pas quand il fait cette tête, ça n'annonce généralement rien de bon. Je prie silencieusement pour qu'il fasse comme s'il ne m'avait jamais rencontré, mais c'est sans compter sur son manque de jugeote. Ce dernier me tape déjà l'épaule amicalement.

« Décidément August, on se croise partout ces derniers temps ! C'est sûrement le destin. »

C'est au tour d'April de nous observer, complètement perdue. Je retire sa main aussi vite que possible, sentant déjà mon énergie être drainée hors de mon corps.

« Vous vous connaissez ? » se surprend à demander April.

« Oui. »

« Non. »

« On à fait de la compétition ensemble, » enchaîne Gab, fièrement.

« Oh, » se contente de répondre April.

« C'est un peu mon mentor si tu préfères, enfin notre mentor maintenant ! »

« Oui c'est vrai, » concède-t-elle en riant doucement.

Les voir ainsi, s'entendre aussi bien l'un avec l'autre m'irrite passablement. Je ne saurais expliquer pourquoi. Je devrais d'ailleurs être satisfait que le courant passe aussi bien entre eux. Mais ce sentiment d'inconfort ne veut pas me quitter.

« Et qu'est-ce que tu fais là exactement, Gab ? »

La question sort plus sèchement que ce que je voulais, je le vois au regard insistant qu'April me lance.

« J'avais un entraînement, » me répond-t-il, pas le moins perturbé du monde.

« Ah. Et qu'est-ce que tu fais encore là du coup ? »

« August ! »

April me met un coup réprobateur dans le bras.

« T'inquiète April. August est un peu sec mais au fond je sais qu'il m'aime. »

Décidément, il ne perd jamais sa bonne humeur. Je me demande comment ça peut être humainement possible. April n'a pas l'air convaincue. Son regard passe frénétiquement de Gabriel à moi.

« Vous êtes libres là tout de suite maintenant ? » Demande-t-il.

« Non, Lise nous attend. »

« Enfaite on a fini pendant que tu fuyais. Donc oui on est libres. »

April affiche un sourire triomphant. Elle s'adosse au mur sans me quitter du regard.

« Génial ! » s'exclame-t-il. « Et si on patinait ? »

Mes bras tombent, ballants. Sérieusement ?

« Je rentre chez moi. »

« Oh allez August ! Je sais que tu ne peux pas patiner. Mais tu peux au moins nous donner des conseils. »

« Non. »

« Juste cette fois s'il te plaît ! »

Il se positionne devant moi pour me barrer la route, les bras écartés pour former un obstacle plus conséquent. April qui était restée jusqu'alors silencieuse se détache finalement du mur et vient se placer à côté de Gabriel, l'aidant à m'empêcher de passer.

« Vous ne passerez pas ! » entonne-t-elle avec défi.

« Vous savez que si je veux réellement m'en aller je peux, et que votre barrage est ridicule. »

« Et comment tu vas faire ? Je te rappel que tu as une jambe en moins. »

Cette fois-ci c'est Gabriel qui me répond. Mais April ne doit pas en penser moins.

« Vous frapper avec mes béquilles ? »

« Quelle violence. »

Je soupire, vaincu et me dirige vers les portes menant à la surface glacée. Les deux imbéciles derrière moi se lancent un regard de triomphe et me suivent d'un même pas. Je n'ai pas besoin de le voir pour le savoir, ça leur ressemble bien après tout.


***

April et Gabriel sont par terre, étendus sur le sol à rire comme des idiots. Je les observe depuis la barrière. Cela fait à peu près cinq minutes que ça dur, et ils n'ont pas l'air de se calmer.

« Vous n'étiez pas censé patiner ? » leur crié-je. « Si vous continuez vous allez finir par ne faire qu'un avec le sol ! »

Au lieu de se raisonner ces derniers repartent de plus belle. Je me retourne, vaincu, pour aller chercher une bouteille d'eau. A mon retour, ils sont enfin debout, mais ne patinent toujours pas. Leur expression et la lueur qui s'est immiscée dans leur regard ne me disent rien qui vaille.

« Qu'est-ce que vous avez fait ? »

« Rien, » dit aussitôt Gab en levant les yeux au ciel.

« Pourquoi on aurait fait quelque chose ? » complète April, innocemment.

« Peut-être parce que vous êtes intenables. »

« On se disait que cette séance de patinage manquait de musique et on essayait de choisir laquelle mettre. »

« Exactement, » acquiesce Gab.

« D'ailleurs, tu ne veux pas me passer mon téléphone pour que je jette un rapide coup d'œil à ma playlist s'il te plaît ? »

Je ne sais pas pourquoi mais je sens que je ne devrais pas le faire. Seulement, je n'ai pas d'excuse valable pour refuser. Donc j'obéis.
A peine ai-je tourné le dos que je sens quelque chose me couler entre les omoplates. De la glace dégouline sous mon t-shirt et je me fige instantanément. Bientôt, des rires effrénés accompagnent la sensation. Je fais volte-face, sans parvenir à articuler quoi que ce soit. Je ne sais pas si c'est à cause de la surprise ou de la colère mais je suis pétrifié. La colère ? Non on ne peut pas réellement appeler ça comme ça. Je suis partagé entre l'envie de rire avec eux et la frustration de ne pas réussir à le faire.

« Tu ne l'avais pas vu venir celle-là hein ? » me demande April.

Je ne réponds toujours pas. Gab me sourit et fait mine de fuir. Soudain, je sens quelque chose me prendre la main. April profite de l'inattention de Gabriel pour racler le sol avec ses patins et me tendre la poudreuse qu'elle a réussi à confectionner.

« Envie d'une vengeance ? »

Elle appelle le fugitif qui s'approche l'air de rien.

« Alors on la choisi cette chanson ? » lui-dit-elle.

Il acquiesce et elle l'oriente de façon à ce qu'il me tourne le dos. Je la regarde faire sans bouger alors qu'elle me lance des regards d'encouragement. Pourquoi suis-je incapable de faire quoi que ce soit ? Si j'étais sur la glace est-ce que ça serait plus facile ? Ah. C'est donc ça. Si je pouvais patiner tout serait tellement plus simple. Le regard d'April se fait de plus en plus insistant, mais je n'arrive pas à bouger. Puis, elle change d'expression. Elle n'est plus pressante. Tout à coup elle sourit. Et son sourire signifie bien plus que des centaines mots. De façon magique, il m'extirpe de ma torpeur. Mon bras se met en action tout seul et bientôt Gabriel hurle en se contorsionnant pour essayer d'atteindre le milieu de son dos.

« Traîtresse ! » dit-il à April, faussement blessé par sa trahison.

Cette dernière commence à fuir alors que Gabriel s'élance déjà à sa poursuite. Je les regarde faire. Et dire qu'un sourire a suffi. Mon regard suit April qui glisse majestueusement sur la glace. Malgré sa course endiablée, elle parvient à garder une grâce presque inhumaine. Ses cheveux volent dans tous les sens, dégageant son visage. Elle est resplendissante. Dans tous les sens du terme. Plus le temps passe, moins je peux détacher mon attention d'elle. Elle m'a lancée un sort qui gagne en puissance chaque jour. Et à chaque seconde qui s'écoule, je me surprends à l'admirer un peu plus.
Ils reviennent vers moi et freinent d'un coup sec pour ne pas se prendre la barrière.

« August ! » geint Gabriel. « Fais une alliance avec moi. »

« Pas question. »

« Pourquoi ? Tu l'as bien fait avec April ! Tu la préfère à moi c'est ça ? »

« Non. Elle me fait juste peur. »

« Eh ! » se plaint cette dernière.

A peine calmés, les voilà déjà repartis dans leurs exclamations. Ma poitrine se sert à cette image.

« Je voulais vous dire, »

Leur attention se porte comme par magie sur moi. Depuis quand est-ce qu'ils m'écoutent autant ? Et surtout, depuis quand ai-je envie de prononcer ces mots ?

« Merci beaucoup. »

August et AprilWhere stories live. Discover now