Chapitre 4

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April


J'observe la boisson chaude avec surprise. Mon regard remonte un peu plus, me permettant de découvrir qui en est le propriétaire. Et à ma plus grande surprise, je le reconnais. Il me fixe de ses yeux ébène, impassible, attendant visiblement que je prenne ce qu'il me tend.


« C'est toi ! Le garçon étrange de cet après-midi ! »

« Ravie de te revoir aussi. »

Il m'analyse maintenant avec amusement.

« Ce n'était pas méchant je t'assure, enfin, ce n'était pas le but. Ma manie de parler sans réfléchir me perdra un jour. »

« Je m'en doute ne t'en fais pas. Et puis je l'ai mérité. Je ne devais pas avoir l'air malin tout à l'heure. »

« Certes. Mais qu'est-ce que tu fais là ? J'ai l'impression que le destin s'obstine à croiser nos chemins. »

« Je ne t'ai pas suivi si c'est ce que tu te demandes ! »

Il semble maintenant paniqué et gêné, et je remarque qu'il me tend toujours sa tasse de café. Je décide de la prendre pour lui faire comprendre que je lui fais confiance. Cela paraît fonctionner, puisqu'il s'assoit à mes côtés.

« Alors, mauvaise journée ? »

Il fixe un point au loin, sûrement pour que je n'ai pas l'impression qu'il me mette la pression.


« On peut dire ça comme ça. »

« Envie d'en parler ? »

« Pourquoi ça t'intéresse tant ? »

« Je suis en pause. J'ai du temps à tuer. Et puis on dit que c'est plus simple de se confier aux personnes qu'on ne connaît pas. »

Nous regardons tous deux défiler les voitures, seuls éléments perturbateurs du calme et de l'atmosphère qui nous entourent.

« Je fais du patinage artistique en club depuis que je suis petite, » dis-je pour commencer. « Aujourd'hui il y avait entraînement, et sans ton intervention je ne m'y serais sûrement pas rendue. Comme j'ai beaucoup hésité, j'ai fini par arriver en retard. Et pour couronner le tout j'ai raté un pas de valse. Ah, tu ne dois sûrement rien comprendre à ce que je te raconte désolée. C'est un des premiers sauts qu'on apprend, et surtout l'un des plus simples. Bref. Mon coach m'a vue et m'a passé un savon pendant plus d'un quart d'heure, pour ensuite m'envoyer lui faire un café. »

« Aïe. Pas génial, effectivement. Mais restons positifs ! Il faut se dire que ça aurait pu être pire. »

« Je lui ai jeté le fameux café au visage. »

« Bon. »

Un léger silence s'installe, puis je sens son épaule trembler contre la mienne. Je lève les yeux vers lui et au même moment il se met à rire.

« Excuse-moi ! Mais il faut avouer que c'est plutôt cocasse comme situation ! »

Je le regarde, complètement prise au dépourvu. Puis sans que je ne m'en rende compte je me surprends à sourire. J'attends qu'il se calme, l'esprit plus léger.

« N'empêche, t'as pas l'air du genre sanguine. Il a dû drôlement t'énerver pour que tu en arrive là. »

Je resserre un peu plus mes bras autour de mes genoux, et laisse passer un temps.

« Il m'a interdit de remonter sur la glace jusqu'à ce qu'il m'en juge de nouveau digne. »

Il ne dit rien, et je prends son silence comme une invitation à continuer.

« Tu sais, il y a tellement de choses que je peux accepter. Je me suis soumise à ses nombreux régimes, je me suis entraînée sans relâche, sans jamais me plaindre, j'ai subi les remarques désobligeantes, les moqueries et j'en passe. Mais m'interdire de patiner ? C'est comme m'enlever une moitié de moi-même. Alors peut-être qu'il a raison. Peut-être que je n'arriverais jamais première. Peut-être que je ne mérite pas de l'avoir pour coach, peut-être qu'il faut que je fasse encore plus d'efforts, et que je lui fais perdre son temps mais... »

Ma voix se coince dans ma gorge, et mes yeux me brulent. La vision que j'offre de moi-même doit être pathétique. Tout à coup je sens quelque chose se poser sur ma tête. Je me tourne en direction de l'inconnu à qui je viens de déballer ma vie et croise directement son regard. J'arrive à y décerner un mélange de colère et de tristesse, et parmi tout ça, s'entremêle quelque chose de plus profond que je ne saurais nommer. Sa main applique une légère pression sur mon cuir chevelu me donnant la parfaite dose de réconfort. La chaleur que me procure ce simple geste finit de briser mes barrières et bientôt, des larmes discrètes roulent le long de mes joues. Il fait sombre, je ne sais pas s'il est en mesure de les voir, mais si c'est le cas il n'en montre rien.

« Ne te rabaisse pas pour une personne comme ça. »

Il ôte sa main, et me détaille, pensif.

« Je ne connais pas tous les détails, mais vu ce que tu viens de me raconter je pense que je n'en ai pas besoin pour savoir que tu n'as rien à te reprocher. »

J'aimerais le croire.

« Pourtant, je suis la seule qui n'a pas été capable de suivre le rythme. »

« Qu'est-ce que tu veux dire ? »

« Les autres ont toujours le sourire, elles sont compétentes ne se plaignent pas. Tout simplement, elles sont à la hauteur. »

Une drôle de grimace tord son visage.

« Tu connais l'expression ne jamais juger un livre à sa couverture ? Tout le monde est différent tu sais. Peine, joie, souffrance, chacun a une façon bien à lui d'interpréter et de montrer ces différentes émotions. Certains écoutent les autres se confier, les soutiennent et les conseillent. En faisant ça ils montrent une certaine force. Mais qui te dis que le soir quand ils se retrouvent seuls ils ne s'écroulent pas ? C'est pareil pour les autres patineurs. Si ça se trouve certains vivent les choses aussi mal que toi. La seule différence étant qu'ils n'ont pas la force, ou le courage, appel ça comme tu veux, de se rebiffer comme tu l'as fait. Parce que je peux me douter ce que tu penses actuellement, mais en aucun cas tu n'as fui, ou abandonné. En lui jetant cette tasse de café à la tronche tu lui as donné une sacrée leçon. »

Je ne sais pas quoi lui répondre. Jamais personne ne m'a parlé comme ça. Une étrange sensation m'enveloppe et pour la première fois depuis longtemps, j'ai l'impression d'avoir pris la bonne décision.

« Et toi, tu te situes dans quel groupe de personne ? »

« Joker. »

« Hein ? »

« Je ne répondrais pas à cette question. »

« Mais, ce n'est pas juste ! Je viens de te raconter tous mes problèmes ! »

« Je ne t'ai jamais demandé de le faire. »

Il arbore un sourire moqueur, prêt à démonter tous mes arguments un par un.

« Au fait, laisse-moi te dire que tu ferais mieux de changer de coach et fissa. Ce n'est pas avec cet enfoiré que tu vas réussir à faire quoi que ce soit. »

« N'essaye pas de changer de sujet. »

« Je ne fais que revenir sur notre conversation principale. »

« Un point pour toi. »

Il se met à rire de nouveau, cette fois plus franchement et m'entraîne avec lui. Nos rires résonnent dans le silence solennel de cette fin de soirée.

« Tu ne bois pas le café que je t'ai gentiment préparé ? » me demande-t-il.

« Non. Je n'aime pas le café. »

« Je ne sais pas pourquoi mais je prends ta réponse comme une attaque personnelle. »

« Je m'en sert de chauffe main on n'a pas tout perdu. »

« Pauvre café. Tant que tu ne me le jette pas à la figure ça me va. »

Nous revoilà partis de plus belle à s'esclaffer comme des enfants, la conscience libre et soulagée.

Nous restons assis ici en silence pendant un temps indéfini. Nous ne parlons plus, mais ce n'est pas gênant, au contraire. Silencieusement nous observons notre entourage, scrutant les détails de la ville qui s'endort petit à petit. Puis, mon bus arrive, mettant fin à cet instant précieux. Le jeune inconnu me dit au revoir silencieusement, d'un léger signe de la main. Et nos chemins se séparent de nouveau. Le bus est presque vide. J'hésite à m'assoir, puis sens mes jambes trembler légèrement. Je m'installe finalement sur le siège du fond et soupir de soulagement en m'enfonçant dans la laine colorée. Je pianote sur mon téléphone, pour faire passer le temps, au rythme de la musique qui se joue dans mes oreilles et tombe sur un ancien article de patinage qui attire mon attention.
Soudain, je me rends compte d'un détail important, nous avons parlé de tant de choses et pourtant je ne lui ai pas demandé son prénom.

August et AprilWhere stories live. Discover now