Chapitre 22

16 1 6
                                    


April


« Et donc ? Comment tu t'es fait ça exactement ? »

August se tient devant moi, appuyé sur ses béquilles, une drôle de grimace plaquée sur le visage.

« J'ai raté une marche et suis tombé sur mon ancienne blessure. »

« Raté une marche c'est ça, » marmonne Lise dans son coin. « Espèce d'inconscient tu aurais dû être plus prudent ! »

August la regarde, penaud et n'essaye pas de se défendre.

« Lise tu es peut-être un peu dure là non ? Il ne pouvait pas prédire qu'il allait glisser et se faire mal. »

« Il n'y en a pas un pour rattraper l'autre je vous jure ! »

Elle sort de la pièce, énervée et nous laisse seuls. Lorsque que je tourne la tête vers August, je me rends compte qu'il me fixe intensément.

« Tu vas les garder combien de temps ? » dis-je pour tenter de détendre l'atmosphère.

« Pas longtemps, deux semaines tout au plus. »

Un nouveau silence s'installe. Les yeux sombres d'August ne me lâchent pas. Il semble vouloir dire quelque chose, mais hésite.

« Et ta grand-mère ? Comment elle va ? »

Oh c'était donc ça.

« Elle se remet. Ça devrait aller. »

Il affiche une mine dubitative et ne me pose pas d'autre question. Je ne peux pas vraiment lui en vouloir, après tout je n'ai pas été à cent pourcent honnête avec lui.

« Vous vous dépêchez ? »

L'appel de Lise nous sort de notre mutisme et d'un même pas, sans s'adresser un regard nous nous dirigeons vers la glace.
Une fois arrivés, l'entraîneuse nous accueil avec un air indéchiffrable, nous laissant perplexes.

« April, est-ce que tu peux me faire un enchaînement de sauts s'il te plaît ? Je veux vérifier quelque chose. »

J'acquiesce et enfile mes patins. Lorsque Lise me demande des choses sans préciser ce qu'il lui passe par la tête, je ne peux m'empêcher de me mettre à trop penser. Je la connais, et pourtant, je crains sans cesse un changement d'humeur. Un revirement de situation, qui détruise le semblant de confiance qu'elle a réussi à m'inspirer. Aussi fou que cela puisse paraître, Rurik, lui aussi, semblait sympathique au début. Je suis sa consigne et effectue un enchaînement inventé sur le tas. Lorsque je m'arrête et redirige mon regard vers la barrière Lise se trouve au même endroit, immobile. Son regard s'est renfrogné et je sens l'orage arriver. Elle soupire et se détourne pour récupérer une pile de papier négligemment entassés derrière elle.

« Viens voir, » me dit-elle, le dos toujours tourné.

Je les rejoins en quelques poussées et jette un œil à August qui semble partager mes craintes. Nous attendons ses prochaines directives, soucieux.

« April qu'est-ce que je t'ai demandé ? »

Sa question me prend de court.

« Eh bien, de faire un enchaînement de sauts ? »

« Et qu'est-ce que tu as fait ? »

« Un enchaînement de sauts ? »

« Où est-ce que tu veux en venir Lise ? » demande August, les bras croisés sévèrement contre sa poitrine.

« C'est bien ça le problème. Je t'ai demandé un enchaînement de sauts et tu m'as fait un enchaînement de sauts mécaniquement. Je vais être directe comme toujours, mais il n'y avait rien derrière. Pas de sentiments, pas de profondeur.

« Je suis désolée. »

C'est tout ce que je trouve à répondre, accusant encore le coup. Et voilà. Tout semblait trop beau. Il fallait bien que je finisse par être déçue.

« Ne t'excuse pas voyons. Ce n'est pas comme si c'était de ta faute. »

« Je... »

« Pourquoi fais-tu du patin April ? »

Pourquoi ? Pour remporter la première place ? Marquer l'esprit des gens ? Je ne sais plus à vrai dire.

« Pourquoi as-tu commencé ? »

Est-ce que c'était différent au début ? Sûrement. À quel moment ce sport que j'aimais tant est-il devenu une routine dans laquelle je me suis ancrée ?
Lise soupire, las, et se masse les tempes doucement.

« Désolée April. Je n'aurais pas dû réagir comme ça. Tu me connais j'ai tendance à me laisser dépasser quand je suis inquiète. »

Inquiète ?

« Bien sûr, tu te doutes que je ne te dis pas ça sans avoir pensé à une solution. »

Je la regarde avec de grands yeux.

« Une solution ? » demande August, qui sans que je ne m'en rende compte s'est rapproché de moi.

« J'ai une proposition. Il ne faut pas voir ça comme une perte de temps mais une opportunité. Je te demande de me faire confiance. »

Je hoche la tête vivement, buvant ses paroles. Je manque de quelque chose c'est indéniable. Et si Lise peut y remédier alors je la suivrais jusqu'au bout du monde.

« Je t'ai trouvé un stage d'un mois à la patinoire. Tu t'entraîneras le matin avec nous comme d'habitude et le soir tu changeras de rôle et deviendra l'entraîneuse d'un groupe de petits. Ils ont entre cinq et sept ans et sont super tu verras. Je suis sûre qu'à leur contact tu pourras réfléchir à ce qui est réellement important, et ce qui au contraire ne constitue qu'une source de stress inutile. »

Je ne la quitte pas des yeux tournant ce qu'elle vient de me dire dans ma tête. Moi entraîner ? Des enfants qui plus est ? Je ne déteste pas les enfants, mais je n'ai pas la confiance en moi nécessaire pour m'occuper d'eux actuellement.

« Et si je ne suis pas à la hauteur ? »

« Tu le seras, » réplique aussitôt August en me tapant l'épaule gentiment. « Tu nous as déjà prouvé plusieurs fois que tu es plus forte que tu ne le pense. Fais-toi confiance. »

« Merci, énormément. »

Je m'en veux d'avoir douté de leurs intentions. Rurik est Rurik. Et Lise est Lise. Il ne faut pas que je laisse mon ancien entraineur me freiner plus qu'il ne l'a déjà fait.

Aussi compliqué que cela puisse paraître, faire confiance à ces gens est la meilleure chose que je puisse faire. Si Rurik voyait en moi un poids inutile, je sais que Lise et August me voient telle que je suis réellement. A la fois en tant que patineuse, mais aussi en tant qu'être humain et surtout, qu'égal.

« Bon ! Maintenant que cette histoire est réglée, nous avons du travail, » nous interromps Lise.

Nous nous reconcentrons rapidement et nous remettons au travail. Mais une impression étrange m'envahie et je ne parviens pas à m'en défaire malgré leurs encouragements.


***

Je bois une gorgée d'eau et profite de sa fraîcheur. Lise a été intransigeante aujourd'hui et l'entraînement assez physique. J'ai eu du mal à me concentrer mais suis tout de même parvenue à donner le change. Comme invoquée par mes paroles, Lise s'assoit à mes côtés, une brioche à la main. Elle reste immobile un moment, me détaillant du regard.

« Tu peux m'en parler si tu veux. »

« Parler de quoi ? »

« Ne me prend pas pour un lapin de trois semaines. Je sais très bien quand tu ne vas pas bien, je commence à te connaître. »

J'entortille mes doigts, les emmêlant et démêlant à mesure que mes pensées s'organisent.

« Pour être tout à fait honnête, même moi j'ai du mal à comprendre. »

« C'est normal, on ne peut pas toujours être sûr de soi. Il faut bien douter un peu de temps en temps sinon ce serait trop facile. Commence par essayer de mettre un mot sur ce que tu ressens. Même si ce n'est pas exactement ce que tu vis c'est tout de même déjà un pas de fait. »

Je me repasse notre conversation du matin. Pourquoi est-ce que je fais du patin ? Quand on y réfléchit, mes convictions sont bien pauvres.

« Je crois que j'ai peur, » commencé-je. « Enfin en quelques sortes. Peur parce que tout d'un coup je remets en question tout ce qui autrefois me semblait être une évidence. Mais ce n'est pas tout. J'ai peur de l'avenir, peur parce que j'ai l'impression de m'être complètement perdue. Et en conséquence, je ne peux m'empêcher de douter de moi et de mes choix. »

« Je sens que la question que je t'ai posée ce matin t'as plus bouleversée que je ne l'aurais cru. J'imagine bien ce que tu penses actuellement et laisse-moi te dire que c'est normal. En mon sens il n'existe pas de bonnes ou de mauvaises motivations. L'important c'est qu'elles te mènent vers ton objectif final. »

Mon objectif final...

« Et surtout n'ai pas peur. Car, parfois pour réellement se trouver il faut commencer par se perdre. »

Je ne réponds pas, trop occupée à méditer sur ses paroles. Elle ouvre le sachet entourant sa brioche et la fixe intensément.

« Dis donc, je devrais penser à me reconvertir moi. Chaque jour je me dis que j'ai loupé une super carrière de psy. »

« A ce point ? »

Elle rigole franchement et prends ma main dans laquelle elle dépose la pâtisserie.

« Cadeau ! Sois reconnaissante. Je l'avais achetée pour moi mais finalement je n'ai pas si faim que ça. »

Je la regarde s'éloigner avec de grands yeux. Sur son chemin elle croise August à qui elle adresse un clin d'œil complice. Ce dernier lui offre une expression dégoûtée en cadeau et continu d'avancer en baissant la tête. Tant et si bien que je manque de louper le léger sourire qui étire ses lèvres. Une fois arrêté devant moi, il gratifie ma main restante d'un gobelet fumant.

« Cadeau, » dit-il en buvant une gorgée de sa boisson.

« Décidément, je penserais presque que c'est mon anniversaire. Vous vous êtes concertés ? »

« Non absolument pas. Si tu n'es pas contente je la mange, moi, ta brioche. »

Il esquisse un mouvement dans ma direction dans le but de me voler mon dû mais je l'esquive de justesse.

« Pas touche brigand, cette brioche m'appartient. »

J'enfourne cette dernière dans ma bouche et lui lance un regard dur en guise d'avertissement.

« D'accord, d'accord. Je suis triste et moi qui espérait une récompense pour t'avoir amené un chocolat chaud. »

Il se détourne dramatiquement et porte son gobelet à ses lèvres.

« Quelle drama queen je vous jure, » dis-je en me levant.

« Où tu vas ? » me demande-t-il, toute tristesse envolée.

« Chez toi. »

« Chez moi ? »

« Je vais voir Bleu, ça fait un moment que je ne l'ai pas vue. Elle me manque. »

« J'ai toujours su que tu préférais ma sœur. »

« Je n'ai pas cherché à le cacher en même temps. »

Je le regarde rester sur place avec un air simplet sur le visage et ne peux réprimer un rire.

« Allez, dépêche-toi on y va ! »

Il me sourit et s'élance à mes côtés, tout entrain retrouvé. J'ouvre la porte de la patinoire et quelque chose de froid se dépose doucement sur mes joues. Je relève la tête et observe le ciel. Face à moi se trouve une étendue blanche fraîchement apparue, donnant l'impression d'être infinie.

Il neige.

August et AprilWhere stories live. Discover now