Chapitre 23

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April


Je me tiens nerveusement sur le perron, enserrant la lanière de mon sac de mes doigts.
Mon premier jour en tant qu'entraîneuse est arrivé plus vite que je ne l'aurais cru et ma présence ici me semble de plus en plus incongrue. J'ai pourtant décidé de croire aveuglément en Lise et ses décisions. Depuis qu'elle m'a prise sous son aile mes progrès son exponentiels et petit à petit je retrouve un vrai sens à patiner. Les articulations de mes mains sont bloquées, malmenées par le froid mordant. Depuis que la neige est tombée, le temps ne fait que se dégrader. Je souffle et joue avec la condensation. Lorsque j'étais petite, les jours les plus froids je m'amusais à imiter un fumeur compulsif. Drôle d'occupation quand j'y repense. Comme quoi lorsqu'on est jeune, même les choses les plus néfastes et matures nous semblent dérisoires. Je me décide enfin à pénétrer dans l'édifice, plus à cause du froid que de ma propre résolution. A l'instant même où la porte s'entre-ouvre, des babillages d'enfants me parviennent. Ils sont là et occupent l'espace en courant dans tous les sens. Je me stop presqu'automatiquement. Dans quoi est-ce que je me suis encore lancée ? Plus loin se tient un homme qui doit avoir à peine la vingtaine. Il attire l'œil avec ses cheveux roux en bataille et ses vêtements bariolés. Il s'agenouille pour qu'une petite fille puisse lui chuchoter quelque chose à l'oreille. Cela doit être drôle puisque ce dernier s'esclaffe en se relevant. Ses pupilles marrons tombent soudainement sur moi. Son sourire ne disparaît pas, il s'affine. Il s'approche de moi avec nonchalance, suivit par plusieurs enfants. Ils se collent à lui comme des canetons et manquent de le faire trébucher. Cette vision m'attendrit, en quelque sorte.

« Bonjour ! Je peux vous aider ? » demande-t-il les mains dans les poches.

« Bonjour ! C'est mon premier jour, je viens de la part de Lise. »

Il m'observe un instant, l'air paniqué.

« Mince. J'avais complètement oublié, » s'exclame-t-il en ramenant sa main à son front.

Je l'observe, dubitative. Sur quel spécimen je suis tombée cette fois ?

« Je suis vraiment désolé ! S'il te plaît ne le dis pas à Lise, ou elle va m'atomiser. »

Ses mains se joignent pour souligner ses supplications. Et en un sens je le comprends. Lise peut être terrifiante.

« Lui dire quoi ? »

Il retrouve très vite son sourire et reprend son calme.

« Je vois qu'on est sur la même longueur d'onde, » il tend son bras. « Enchantée moi c'est Gabriel ! »

Je réponds à sa poignée de main avec énergie. Moi qui avais peur de tomber sur un vieux grincheux acariâtre, je n'aurais pas pu rêver mieux.

« April ! »

« Et bien suis moi April ! Je vais rassembler le groupe et on va faire les présentations. »

Il effectue un appel général en faisant sonner ce que qui ressemble à une clochette, et d'un coup les couloirs se vident. Un berger qui rentre ses moutons.
Une fois sur la glace, les enfants se sont répartis en plusieurs groupes, sachant exactement à quel endroit se positionner. Je les regarde faire, surprise. J'imaginais le fait de travailler avec des enfants plus chaotiques.

« Impressionnée par l'organisation ? » Gabriel apparaît à mes côtés furtivement. « C'est ce qu'on appelle l'autorité naturel. »

« J'avoue que j'ai du mal à y croire, » lui réponds-je amusée. « Je suis sûre que tu te comportes en tyran avec eux. »

« Je suis offusqué. »

J'étouffe un rire et le suis jusqu'à la rambarde.
Nous nous positionnons devant les deux groupes en silence. Gabriel commence alors les présentations et tous les enfants me disent bonjour en chœur. Cette chorale de voix suraiguës m'agresse les oreilles. Mon visage se crispe et Gabriel semble le remarquer au vu du rictus moqueur qui étire ses lèvres.
Nous nous mettons rapidement d'accord, et décidons de s'occuper chacun d'un groupe.

« Tu ne sais pas à quel point tu me sauves, » me chuchote-t-il en passant près de moi.

« Je m'en doute. »

Je me retrouve très vite seule devant des dizaines d'yeux brillants qui n'attendent que mon signal pour s'élancer sur la surface glacée. Par quoi les faire commencer ?
Je lance l'entraînement avec des enchaînements basiques et vais d'élève en élève pour donner des conseils. Plus loin, deux petites filles dont les noms m'échappent rient à gorge déployées. Elles tournoient et ignorent les consignes en dansant maladroitement. Je les regarde agacées. Comment veulent-elles progresser si elles passent leur temps à s'amuser ? Un sentiment amer emplit ma poitrine et je me détourne de ce spectacle.
Le reste du cours passe très vite. Plus vite que je ne l'aurais cru. Tout s'est bien passé. Du moins je pense. Les enfants nous disent au revoir et se dispersent. Sauf deux, qui restent plantées devant nous, avides de notre attention. Ce sont les deux, qui, plus tôt ignoraient complètement mes directives.

« Emy ? Chloé ? Vous n'allez pas vous changer ? » demande Gabriel.

« On voulait vous montrer quelque chose. On peut ? » demande l'une d'elles.

« On vous regarde. »

Elles se mettent alors à effectuer une petite chorégraphie. Je reconnais des mouvements de l'entraînement et me rends compte qu'elles n'ont pas du tout ignoré ce que je leur ai dit. Mais qu'elles l'ont plutôt ajusté, et transformé en danse.
Leurs visages rayonnent et elles manquent de tomber plusieurs fois. Mais elles s'amusent réellement. Une drôle d'émotion s'empare de moi à la fin de leur prestation. Cela peut paraître idiot, mais tout le long je ne voulais qu'une chose : les rejoindre. Les applaudissements de Gabriel me ramènent à la réalité. Et je les félicite à mon tour. Elles nous saluent et s'en vont finalement, me laissant complètement troublée.


***

« Alors ce premier cours ? Bien passé ? »

Gabriel entre dans la pièce, un café en main. Bientôt les effluves de la boisson envahissent la pièce et me donnent un haut le cœur.

« Oui. Peut-être ? Sûrement. »

« Wow, quel enthousiasme, » dit-il en s'asseyant à mes côtés.

« Je ne sais pas trop. D'un côté j'ai l'impression de m'en être plutôt bien sortie. Mais de l'autre d'être complètement passée à côté du but de cette journée. »

Il réfléchit un temps, puis me lance une œillade complice.

« Les enfants c'est compliqué tu sais. On ne s'improvise pas nounou du jour au lendemain. Je suis sûr que plus ça va aller mieux. Tu vas t'en sortir.

« Si tu le dis, » dis-je en un soupire.

« Allez, fighting ! » Il me tend son poing et je le fixe incrédule.

« Check ? » Reprend-il avec espoir. « Ne me met pas un vent. »

Je comprends enfin et nos poings s'entrechoquent. Il me sourit satisfait et prends une gorgée de sa boisson. Nous restons là un moment à discuter de tout et de rien, puis décidons de rentrer en se rendant compte de l'heure tardive.


***


Je sors et remarque que le temps ne s'est pas amélioré, au contraire il a empiré. Un homme se tient encastré dans un coin sous son parapluie, luttant pour ne pas être emporté par le vent.

« Merde. »

Malgré les hurlements de la tempête, ses plaintes me parviennent. Je m'approche et attrape une extrémité du parapluie prête à se casser.

« August ? »

Ce dernier me regarde, surpris.

« Ce n'est pas trop tôt ! T'en as mis du temps. »

« Attends mais, tu es là depuis combien de temps ? »

« Une heure ? Peut-être plus, » me répond-t-il en s'essuyant le nez.

« Mais pourquoi tu n'es pas entré ? »

« Je ne voulais pas déranger. »

« Espèce d'imbécile inconscient ! Qu'est-ce que tu comptes faire si tu tombes malade ? »

« Je compte sur toi pour jouer le rôle de mon infirmière, » il me lance un clin d'œil louche en fermant son parapluie.

« Même pas en rêve. »

« Quelle manque de compassion. »

« Pourquoi tu as fermé ton parapluie ? On va être trempés ! »

« Un peu d'eau ça n'a jamais tué. »

Il se met à claudiquer sous la pluie temps bien que mal.

« August ! Tes béquilles ! Tu vas te refaire mal. »
Pour toute réponse il rit à gorge déployée et tournois, comme pour défier l'orage de le mouiller encore plus. J'hésite un instant, puis le rejoint finalement. Il m'attrape les mains et me fait tourner à mon tour. Le bruit de nos exclamations est couvert par le tonnerre. Nos vêtements dégoulinent et nos cheveux sont plaqués sur notre tête formant un casque peu résistant. L'odeur de la terre mouillé chatouille mes narines. J'inspire un grand coup et ferme les yeux, me concentrant sur le sifflement du vent.
Mon téléphone vibre. J'y jette un rapide coup d'œil et vois plusieurs messages de ma mère. Je choisis de les ignorer et de profiter de l'instant. Car je ne sais pas si un jour je parviendrai à ressentir cette exaltation intense qui m'envahit à ce moment.
Une pensée traverse alors mon esprit, je n'ai plus à faire face seule.

August et AprilWhere stories live. Discover now