Chapitre 14

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April


Je cherche mes clés sur la table à tâtons. La pièce est plongée dans l'obscurité et je me repère principalement grâce aux souvenirs que j'ai de l'endroit. Souvenirs pas suffisamment précis, puisque ma main entre en contact avec le seul cactus de la maison.

« Aïe. »

Décidément, aujourd'hui j'enchaîne les bourdes. Je m'imagine Auguste se moquer de moi comme il a l'habitude de le faire. Il faut que je me dépêche. C'est à la hâte que je reprends mes fouilles. Soudain, la lumière s'allume, m'aveuglant presque complètement.

« Où est-ce que tu vas ? »

Ma mère se tient adossée contre le mur derrière moi, les bras croisés et les yeux bouffis par le manque de sommeil.

« Je vais m'entraîner. »

« Aussi tôt ? »

Je pousse un soupir essayant de repérer les clés du regard. J'aurais pu chercher longtemps sur la table sachant qu'elles ne sont nulle part en vue.

« Et pourquoi pas ? »

« Je croyais que tes amis n'étaient pas disponibles aujourd'hui ? »

« C'est le cas. August s'occupe du café et Lise gère une compétition à deux heures d'ici. »

« Mais alors... »

« Maman. Je peux très bien m'entraîner seule. »

« Peut-être, mais je ne suis pas rassurée. »

Toujours aucun trousseau de clés en vue. Cette discussion s'éternise un peu trop à mon goût.

« On a déjà eu cette discussion, » reprend-t-elle, de plus en plus ferme.

Où sont-elles bon sang !

« Tu y passes tes journées ! Tu n'en fais pas trop au moins ? »

Le regard de ma mère se fait de plus en plus inquiet.

« Les voilà ! »

J'aperçois l'objet de mes convoitises sur le meuble à chaussure et me précipite dessus. Clés en main, je me dirige vers la porte d'entrée.

« Cette discussion n'est pas terminée. »

« Si, elle l'est ! »

Je ne lui laisse pas le temps de relancer le débat et prend la fuite.

« N'oublie pas que nous avons rendez-vous ce soir ! »

La porte se ferme. Me voilà enfin seule, libre d'organiser mes pensées. L'air frais du matin me gèle de l'intérieur, dans la précipitation j'ai empoigné la mauvaise veste et le regrette fortement.

« J'espère qu'il ne pleuvra pas. »

Comme invoquée par mes pensées, une goutte vient terminer sa course sur le bout de mon nez. Les passants se séparent alors en trois groupes. Certains sortent leurs parapluies, d'autres s'abritent et les plus vaillants se mettent à courir. J'esquisse un mouvement pour prendre le parapluie que je conserve constamment dans mon sac, mais ma main ne rencontre que du vide. Je prends alors conscience de la légèreté de mes épaules et comprends que mon sac et l'intégralité de son contenu se trouvent chez moi. « Comment tu peux oublier tes patins en allant à la patinoire ? » Désolée August, mais apparemment c'est plus simple que ça n'en a l'air. J'abandonne toute idée de m'entraîner aujourd'hui, l'univers semble être contre moi de toute façon. Peut-être Bleu avait-elle raison ? Peut-être le destin existe-t-il réellement ? Je me réfugie sous le store d'une petite quincaillerie pour passer en revue mes possibilités. Rentrer chez moi ? Hors de question. Aller au café retrouver August ? Non, il est trop occupé, je ne voudrais pas le déranger. Une idée me vient tout à coup à l'esprit. Pourquoi ne pas aller essayer le nouveau magasin de pancakes qui vient d'ouvrir ? Depuis un certain moment, la fatigue me gagne de plus en plus souvent, et ma motivation semble s'amenuiser. Si je prenais du temps pour moi aujourd'hui et me vidait la tête, cela ne pourrait que me faire du bien ! Je fouille mes poches à la recherche de quelques pièces qui pourrait s'être égarées. Et lorsque ma main entre en contact avec un billet placé autrefois dans un moment de prévoyance, je me dis que finalement cette journée peut peut-être s'arranger.

J'arrive dans le restaurant, complètement trempée. Mes cheveux sont plaqués contre mon crâne et forment un casque protecteur, quant à mes vêtements, ils dégoulinent. Le peu de mascara que j'avais mis a dû couler et pour couronner le tout, je ne peux m'empêcher de renifler. Le tableau que j'offre doit être drôlement pathétique. Après un rapide scanne de l'endroit, je prends conscience que les autres clients, pour la plupart, sont tout aussi mouillés que moi. Pourtant l'ambiance générale reste légère et joviale. Un serveur vient et me propose une serviette pour me sécher, sûrement dans un élan de pitié. Je décline poliment son offre et m'installe à une petite table un peu à l'écart. Autour de moi, les gens rient, parlent fort, prennent en photo leur plat... tant d'activités qui animent l'endroit et le rendent plus chaleureux. Au fond de la salle, se trouve une grande table d'étudiants un peu trop bruyante. A leur gauche, un couple d'adolescents dont le rencard a dû être interrompu par la pluie. Plus loin encore, un père et sa fille. Ce dernier prend en photo les moindres faits et gestes de l'enfant pour capturer ces instants avant qu'ils ne s'échappent tout à fait. Le serveur arrive et me détourne de ce spectacle. Il dépose mon assiette en m'adressant un sourire puis s'en va. Les pancakes sont fidèles aux photos, saupoudrés de sucre glace et accompagnés de myrtilles. Ça sent divinement bon. Leur odeur embaume l'espace, et la chaleur qui s'en échappe me réchauffe en partie. Je prends une bouchée, mâche lentement et trop longtemps la crêpe épaisse avant me rend compte que quelque chose cloche.
C'est insipide.
Cela n'a rien à voir avec la recette ou la garniture. Enfaite, c'est cette journée qui est insipide. Je repose mes couverts et fixe l'assiette entamée. Puis, réalise ce qui ne va pas.
Je me sens seule.

August et AprilWhere stories live. Discover now