Chapitre 7

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August



Dans quoi est-ce que je me suis encore lancé ?

Je viens, sur un coup de tête, de faire une promesse que je ne pourrais sûrement pas tenir. En lui disant ça je ne fais que lui créer de faux espoirs et la blesser encore plus. Pourquoi lui demander de patiner pour moi, quand je ne sais même pas si je serais capable d'entrer dans cette patinoire sans faire de crise d'angoisse ? Sur le moment je n'ai pas réfléchi, je n'ai pas eu le temps. Lorsque je l'ai vue rebrousser chemin, j'ai paniqué. Comme si l'idée qu'elle puisse se détourner de moi mettait mon calme à mal.

« August, où est-ce que tu m'emmènes ? La patinoire c'est de l'autre côté ! »

April marche derrière moi essayant tant bien que mal de se caler sur mon rythme. Les traits de son visage me renvoient à ce fameux jour où elle est venue me voir au café pour la première fois. Son expression est en tout point identique, et sa bouche reprend cet axe étrange qui la caractérise si bien. Je ralentis pour qu'elle puisse me rattraper.

« Tu as vraiment cru que j'allais aller dans la patinoire où tu t'entraînes avec le genre de gens qui y traînent ? »

« Ça ne me dérange pas tu sais. Si on croise Rurik, je pourrais toujours l'ignorer. »

Elle me sourit, et je me sens aveuglé, dépassé par toute cette chaleur. Comment peut-elle sourire ainsi alors qu'elle a tant été malmenée ?

« Moi ça me dérange. Si je le croise je ne pourrais pas m'empêcher de lui foutre mon poing dans la tronche. »

Elle cligne des yeux plusieurs fois, comme si elle avait mal entendu. Puis, détourne la tête l'air de rien. Je n'aurais rien remarqué si ça n'avait pas été pour les légers sautillements à peine perceptibles qu'elle fait à présent.


***


Nous arrivons rapidement à destination. A mesure que nous nous rapprochons du bâtiment, je sens quelque chose me serrer les tripes. Ce n'est pas comme si je n'avais jamais essayé de revenir. Je me suis surpris plusieurs fois à dériver jusqu'ici. Mais quelque chose de physique m'empêche à chaque fois d'aller plus loin.

« Wow, » s'exclame-t-elle. « Je n'étais jamais venue par ici ! »

L'enthousiasme d'April me sort de ma rêverie et je la contemple alors qu'elle saute dans tous les sens.

« Incroyable ! L'endroit est sympa en plus. Par contre elle a l'air plus petite que l'autre. Tu me diras, ça lui rajoute du charme. »

Elle se lance dans un monologue incompréhensible et examine chaque détail, parlant plus pour elle que pour moi. Je sens un poids s'alléger. Il ne disparaît pas tout à fait, mais respirer devient moins compliqué.

« Tu viens, tu viens ? »

Je n'ai pas le temps de lui répondre qu'elle s'élance déjà en direction de l'entrée.

« April ! Attends ! »

Je la poursuis et sans m'en rendre compte, me retrouve à l'intérieur. April s'arrête et me regarde avec un drôle d'air.

« Tu vois que ce n'étais pas si compliqué. »

Je reste coi, incapable de bouger. Je viens en quelques secondes de faire ce dont j'ai été incapable des mois durant. April s'avance et m'attrape par la main.

« Tu me fais visiter ? »

Elle m'entraîne à sa suite. Le paysage qui défile m'est familier et pourtant si étranger. La structure est la même mais plusieurs détails diffèrent. Le bas des murs a été repeint en jaune, une plante à fait son arrivée, des cadres photos ont été accrochés. Tout semble à sa place. Tout, sauf une chose : moi.

« Allô ? la terre à August. »

Je sursaute et me rend compte que nous nous sommes arrêtés. April qui m'a lâché la main me regarde avec inquiétude.

« Ça va aller ? Je sais que c'est un peu tard pour demander après t'avoir traîné ici, mais si ça ne va pas on peut revenir un autre jour. »

Ça fait bizarre de la voir perdre subitement toute son assurance. J'inspire un grand coup.

« C'est moi qui aie proposé de venir ici. Ça va aller t'inquiète. »

Un sourire.

« Je vais chercher des patins ! Tu m'attends au bord de la glace ? » me lance-t-elle, toute gaieté retrouvée. « Tu es sûr que ça va aller ? »

« Mais oui, puisque je te le dis. »

« Bon, si insistes. A toute suite alors ! Tu ne t'enfuis pas hein ? »

« Tu vas les chercher ces patins oui ou non ? »

« Désolée, je suis juste tellement contente que j'ai du mal à y croire. »

Elle baisse les yeux, gênée.

« Je n'ai pas dit oui encore tu sais ? »

« Je sais, je sais. Mais j'ai confiance en mes talents. »

Elle coupe court à la discussion et s'en va en rigolant. Je la regarde disparaître dans le couloir et reste immobile un moment. C'est résolu, que je me dirige vers la surface givrée. Ma main s'immobilise un temps devant la poignée. La distance qui me sépare de la glace est infime et l'appréhension revient. Menaçant ainsi, d'envoyer balader tous les efforts que j'ai fait. Que dirait ma mère, si elle me voyait tel que je suis aujourd'hui ? Je prends une grande inspiration et me remet en marche. Le froid me saisit le visage, et l'odeur particulière de l'endroit me fait voyager. Il n'y a personne à cette heure-là. Nous ne sommes même pas censés être ici. Si on nous trouve on me reconnaîtra et on ne se fera pas réprimander. Mais je préfère que notre virée reste secrète. Il y a des personnes dont je préférerais ne pas croiser la route. Je m'approche de la barrière et laisse ma main en caresser la surface en bois. Finalement, le plus dur était de faire le premier pas. Maintenant que je suis ici, c'est comme si je ne m'étais jamais réellement absenté.

« August ? »

Je reconnaîtrais cette voix entre milles. Faire comme si je n'avais pas entendu ne serait pas crédible, et prétendre ne pas être moi-même non plus.

« August c'est bien toi ? J'avais perdu tout espoir de te revoir ici un jour ! »

Je lui tourne toujours le dos, mais mon ancienne coach ne semble pas prête à lâcher l'affaire. Je fais volte-face et tombe nez à nez avec elle. J'évite son regard, le visage crispé.

« Bonjour Lise. »

Mon intonation doit être tranchante, car elle me dévisage avec tristesse.

« Comment tu vas August ? »

Je suis étonnée qu'elle ne me demande pas pourquoi je suis là.

« Comme quelqu'un qui a tout foiré et déçu tout le monde. »

Le visage de Lise se décompose.

« Pardon c'était une erreur de revenir, je m'en vais. »

Je commence à partir lorsqu'elle se met en travers de mon chemin.

« Non, non, non ! Reste. C'est moi qui part. J'aurais dû fermer la patinoire mais je vais faire une exception pour mon élève préféré. Reste le temps qu'il te faudra je reviendrais fermer plus tard. »

Elle m'adresse un sourire désolé et fait attention à ne faire aucun mouvement brusque. Comme si elle faisait face à un animal sauvage apeuré. C'est en regardant mon reflet dans ses yeux, que je me rends compte à quel point je suis pitoyable. Je me trouve incapable d'ajouter quoi que ce soit, et elle ne semble pas en attendre plus puisqu'elle s'en va. Me voilà seul, avec un poids lourd dans le ventre. J'ai envie de vomir. Je m'assois et respire tant bien que mal pour reprendre mes esprits. Les yeux fermés, je me concentre.
Soudain, une main m'agrippe l'épaule. Je relève la tête avec appréhension m'attendant à voir Lise qui aurait changé d'avis. Mais il n'en est rien. Devant moi ne se trouve que le visage inquiet d'April.

« August ? Ça va ? »

On-t-il allumé les lumières ? La pièce autrefois si sombre est maintenant éclairée de toute part. Comment expliquer ce phénomène ?
Pour la première fois depuis longtemps mes lèvres s'étirent en un sourire franc. Ce qui semble déstabiliser April autant que cela la rassure.

« Alors, prête à me faire une démonstration ? »

August et AprilWhere stories live. Discover now