Chapitre 17

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April


« Plus haut, April ! »

Je tends la jambe autant que possible, et sens tous les muscles de mon corps se contracter.

« Plus haut ! »

« August, si je lève ma jambe plus haut, je vais mourir. »

« Ton arabesque est bien comme elle est, mais si tu lèves un peu plus cette jambe elle sera parfaite. »

« Tortionnaire. »

« Rien que ça ?» Demande Lise assise plus loin.

Cela fait quelques semaines maintenant que nous alternons entre patinoire et salle de danse. La date du concours se rapproche, et August et Lise se montrent d'autant plus intransigeants.

« Tu t'en sors Lise ? »

August s'approche de son ancienne coach et se penche pour jeter un œil à ce qu'elle écrit.

« Je peaufine son programme. Avec ça il sera quasi parfait ! »

« Quasi ? » la questionné-je ?

« Rien n'est jamais réellement parfait ma petite April, » rétorqua-t-elle sans lever les yeux de son papier.

« Mes prestations l'étaient, » ajoute August, offusqué.

« Ton exemple ne compte pas. »

« Dur d'être un génie. »

J'observe August, pensive. Je ne parviens pas tout à fait à comprendre son mode de fonctionnement. Un instant il a confiance en lui et en ris, et celui d'après il se descend plus bas que terre. Je laisse mes pensées vagabonder alors qu'ils continuent de se chamailler. C'est la voix tendue d'August qui me sort finalement de ma rêverie.

« April. Ne bouge pas. »

Je le fixe incrédule.

« Pourquoi ? »

« Ne panique pas surtout. »

« Quoi à la fin ? »

« Tu as une araignée énorme sur l'épaule. »

C'est tout ? Et moi qui commençai à m'inquiéter.

« Oh si ce n'est que ça, enlève là. »

Il reste planté sur place sans bouger et fixe mon épaule avec de grands yeux.

« August ? »

« Non. »

« Comment ça non ? »

« Je te l'ai dit, elle est é.n.o.r.m.e April. Je ne touche pas à ça. »

« Ne me dis pas que ça te fait peur à ce point ? »

Il m'offre un magnifique silence en guise de réponse.

« August ce n'est pas drôle. Je la sens bouger, dépêche toi avant qu'elle ne rentre dans mon t-shirt ou quelque chose dans le genre. »

Je ne suis en général pas effrayé par les insectes, mais ils ne m'inspirent pas confiance pour autant. Ne pas voir cette araignée me fait paniquer, et l'effroi qu'August laisse transparaître n'arrange rien à la situation.

« Je ferais un beau discours à ton enterrement, » annonce-t-il avec une expression grave.

« August ! »

Je commence à me tortiller dans tous les sens dans l'espoir de la faire tomber. Mais c'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. August essaye finalement de m'aider en tirant sur les extrémités de mon t-shirt, mais les choses doivent échapper à son contrôle. Il pousse un cri de surprise qui me fait crier à mon tour.

« C'est quoi ce bazar ? »

August et moi pivotons la tête vers Lise, qui semble nous prendre pour des fous, et d'une même voix l'implorons de nous aider. Elle s'approche calmement et envoie voler la bête avec une pichenette.

« Quinze jours sous une benne vous seraient utiles. »

Elle s'éloigne de nouveau en faisant des gestes dramatiques.

« C'est de ta faut Monti. »

Je lui envoie un coup de coude dans le bras, qui le fait sursauter.

« Je te demande pardon ? »

« Si tu avais enlevé cette araignée, quand je te l'avais demandé, on ne se serait pas humilié comme on vient de le faire. »

August ramène sa main contre sa poitrine et ouvre la bouche en grand dans une expression caricaturale.

« Excuse-moi de ne pas vouloir toucher n'importe quel truc rampant. »

« Tu étais terrifié. »

« Toi aussi. »

« C'est toi qui m'as fait paniquer ! »

« C'est d'un bruyant ici. Je ne savais pas qu'ils laissaient entrer n'importe qui. »

Une voix masculine nous interrompt dans notre querelle. Il ne me faut pas longtemps pour reconnaître ce ton acerbe et cette intonation tranchante.

« C'est qui ce vieil aigri ? » murmure August de façon à ce que je sois la seule à entendre.

Je ne lui réponds pas. La personne vient de derrière August. Ce dernier me cache donc la vue, ainsi que celle de l'homme. Je n'ose pas bouger. Comme si rester immobile me rendait invisible.

« April ? Ça ne va pas ? »

Le regard inquiet d'August est maintenant posé sur moi. Il m'attrape les deux épaules avec nervosité.

« April ? Tiens mais ce ne serait pas la petite Wilson ? »

Je peux maintenant le voir distinctement. Rurik. Ayant été avertis de ma présence, il se dirige vers moi, la démarche lourde et calme.

« Une connaissance ? » M'interroge August sur le qui-vive.

« Malheureusement. »

« Bah alors ? T'as réussi à te retrouver quelqu'un pour t'entraîner ? Wow. Un professionnel a bien voulu d'une empotée pareille ! »

Lise qui jusqu'alors évaluait la situation en silence s'approche pour s'interposer.

« Je peux vous aider ? »

« Je m'enquerrait simplement de la situation d'une ancienne élève madame, pas besoin de s'énerver, » Explique Rurik en dévoilant ses dents jaunis dans un sourire crispé.

« Vous avez une drôle de manière de prendre des nouvelles. »

« Vous ne comprenez pas, cette moins que rien m'a créé tellement de soucis que je n'ai pas pu m'empêcher d'être un peu sec. Vous l'avez vue patiner au moins ? On dirait un faon qui vient de naître. Au fait nous n'avons pas été présentés. Rurik, ravie de faire votre connaissance. Si jamais vous avez besoin d'aide pour la gérer en tant que collègues il est normal de s'entraider, » dit-il, ponctuant sa tirade en tendant une main ornée d'un trop grand nombre de bagues de mauvais goût à Lise, qui l'ignore complètement.

« Pour qui tu te..., » August semble vouloir entrer dans la conversation mais l'entraîneuse l'en dissuade d'un léger coup dans le mollet.

« Je ne pense pas vous avoir demandé votre prénom et ne voit pas la nécessité de le connaître. Aussi, je ne vous permets pas de nous mettre au même niveau, vous m'entendez ? J'en suis écœurée rien qu'à l'idée. Maintenant je vous demanderais de bien vouloir arrêter de déblatérer des horreurs pareilles sur ma patineuse et de nous laisser travailler en paix. En outre, vous nous dérangez. »

La figure de Rurik devient livide. Je ne l'avais jamais vu perdre ses moyens auparavant. Cet instant est bref, et bientôt son assistant est obligé de l'éloigner pour ne pas créer un scandale. Plus loin, toutes ses élèves nous fixent avec dédain. La culpabilité ne met pas longtemps à m'assaillir. A cause de moi Lise et August se sont donné en spectacle, et ont perdu leur temps. Je n'arrive pas à garder la tête haute et évite leur regard.
La seule qui chose qui m'empêche de partir en courant est la main d'August posée dans le creux de mon dos, et la chaleur qu'elle me procure.


***

La température extérieure me permet de reprendre mes esprits et de me calmer un peu. Après l'altercation avec Rurik, je n'ai pas réussi à me concentrer et ai enchaîné les erreurs. En voyant qu'elle ne tirerait rien de plus de moi aujourd'hui, Lise m'a laissé aller prendre l'air. A cette pensée, je resserre un peu plus la prise sur mes mollets et me recroqueville davantage. Jusqu'à ce que quelque chose de chaud vienne se coller contre ma joue. Je me redresse et voix un gobelet rouge, fumant tenu par une main tremblante. A son extrémité se trouve August, malmené par le vent et le froid.

« Quelle idée de sortir dehors avec cette température ? » parvient-il à articuler entre plusieurs claquements de dents.

Une image me vient alors à l'esprit. Je nous revois, lui et moi, trois mois plus tôt dans la même position. Moi accroupie contre un arrêt de bus, et lui debout me tendant une boisson chaude. Je n'avais jusqu'à cet instant pas réellement pris conscience du temps qui s'est écoulé depuis notre rencontre. Et une vague de nostalgie me submerge.

« C'est du chocolat chaud c'est ça ? » j'accompagne ma demande d'un sourire qui se veut enjoué.

« Non, du café ils avaient plus de chocolat. »

Mon sourire disparaît aussitôt.

« Je rigole, bien sûr que c'est du chocolat, » affirme-t-il en s'asseyant à mes côtés. « Par contre, je ne te garantis pas le goût. Il ne faut pas trop en demander aux machines automatiques. »

Je lui prend le gobelet des mains en rigolant et m'en serre pour me tenir chaud. C'est ce moment que choisissent Rurik et son équipe pour sortir. Ils ne s'arrêtent pas, mais se déplacent suffisamment lentement pour que je remarque le regard haineux de mon ancien entraîneur.

« Il veut quoi encore lui ? Si la leçon que lui a mis Lise tout à l'heure ne lui a pas suffi je vais me faire un plaisir d'ajouter ma touche personnelle. »

Les yeux d'August lancent des éclairs. J'attrape sa main et la serre dans la mienne.

« Ne t'inquiète pas, vous en avez déjà fait plus qu'assez. »

Il me regarde avec surprise mais ne dit rien.

« Tu sais, je ne sais pas ce que j'aurais fait si je ne vous avais pas rencontré. »

« La question ne se pose pas, vu que tu nous as rencontrés. »

« Effectivement. »

« Enfin c'est plutôt moi qui t'ai trouvée. Et si C'était à refaire, compte sur moi pour te chercher à nouveau. »

Un rire léger m'échappe, et la chaleur me regagne petit à petit.

« Tu as raison. Merci de m'avoir trouvée August. »

Nous nous fixons un certain temps. Quand d'un coup les portes s'ouvrent avec fracas, laissant apparaître une Lise complètement remontée. Je me rends alors compte que je triture les doigts d'August depuis au moins cinq bonnes minutes et les lâches, gênée.

« Ce bonhomme m'a énervée comme jamais encore on ne m'avait énervée ! »

Nous la fixons, les yeux grands ouverts, surpris par une telle virulence de sa part.

« Madame », je vais lui en donner des Madames moi. »

« C'est donc qu'il t'aie appelé madame qui t'énerves ? » lui demande August, de nouveau blasé.

« Tout m'énerve chez lui, tout ! »

Je les étudie alors qu'August continu de la taquiner. Et me surprend à rire avec eux.

« April ! » s'écrie Lise.

« Oui ! »

« Tu vas la gagner cette compétition. Et quand ce sera fait j'irais revoir cette énergumène pour lui coller notre trophée sous le nez. »

« Bien chef ! »

« Bon qu'est-ce que vous attendez tous les deux ? On a du boulot ! Pas le temps de se la couler douce on s'y remet ! »

« Bien chef ! »

Cette fois-ci August et moi répondons en même temps et ni une ni deux, courrons à l'intérieur. Et petit à petit, sans en prendre encore réellement conscience, nous dirigeons vers la compétition de notre vie.

August et AprilWhere stories live. Discover now