Chapitre 3

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April


« Une moins que rien. Voilà ce que tu es. Et ça ne date pas d'aujourd'hui. Non seulement tu arrives en retard, mais en plus tu te foires sur un saut aussi simple. Tu devrais avoir honte de me faire perdre mon temps comme tu le fais ! Moi qui fais de mon mieux pour te faire progresser. »


Voilà bien dix minutes que Rurik s'époumone, pour me faire comprendre que je ne mérite pas un coach tel que lui. Et que je ne suis qu'une ingrate, fainéante et sans talent particulier.
Parce que voilà ce qu'il recherche vraiment : le talent. Les génies, se propulsant vers le sommet et allant toujours plus haut. Malheureusement pour lui, je ne peux pas lui fournir ce qu'il désir. Il va devoir se contenter d'April, la patineuse moyenne qui n'en fait jamais assez.

« Regarde-moi quand je te parle. »

Je lève les yeux vers lui sans grande conviction. Ses yeux sont plissés en deux fentes menaçantes. Si de toute façon il ne compte pas m'écouter et n'en a rien à faire de ce que je pense, alors a quoi ça sert que je le regarde ? S'assurer que l'emprise qu'il a sur moi est toujours aussi grande ? Ou tout simplement savourer l'expression de mon visage à chaque nouvelle attaque qu'il lance ? Car c'est comme ça qu'il fonctionne. Monstre sournois qui se délecte du malheur des autres, puisant sa force dans le mal qu'il peut leur infliger. Un pervers narcissique dans toute sa splendeur, ou plus communément appelé Rurik Vasilev.

« Tu as interdiction de remonter sur la glace jusqu'à nouvel ordre. »

Ma tête se relève automatiquement à ces mots. Il peut me faire ce qu'il veut, je l'endurerais sans me plaindre. Mais pas ça. Là, il va trop loin.

« Quoi ?! Non, non, non. Tu ne peux pas me faire ça Rurik.  »

« C'est coach pour toi. Et jusqu'à preuve du contraire, je fais ce que je veux. Si t'es pas d'accord avec mes décisions, libre à toi de t'en aller. Mais bien avec l'idée en tête que ce ne sera pas la peine de revenir. On a déjà été bien trop clément avec toi. »

« Mais qu'est-ce que je suis censée faire en attendant ! Si je ne m'entraîne pas j'ai aucune chance au prochain concours ! »

« Commence par faire les cafés. Le local a besoin d'un peu de rangement aussi, tant que tu y es. »

Je serre les points. Ne dis rien April. Encaisse. Ça va empirer si tu parles.

« Fais pas cette tête, c'est pas comme si t'avais une chance de gagner de toute façon. »

Rurik me lance un sourire narquois en me frappant la cuisse avec l'élastique de ses clés.
J'entends quelque chose en moi se fissurer. Je ne sais pas encore ce que c'est, mais c'est d'une violence sans nom.

« Ah et, deux sucres dans mon café ! » rajoute-il sans même se retourner.

Il me faut un petit moment avant de pouvoir bouger à nouveau. Mes mouvements sont pareils à ceux d'un automate. Faisant les choses avec automatisme, sans même faire attention à ce qui m'entoure. Allumer la machine, insérer une dosette, attendre que le café finisse de couler. Même l'odeur de cette boisson qui d'habitude m'écœure tant, ne semble pas m'atteindre aujourd'hui. C'est le regard dans le vide et un mug de café orné d'un mantra cliché à la main que je me dirige vers la glace. Non pas pour patiner, mais pour faire le service. Au moment de passer la porte, j'entends des bribes de voix. En temps normal je n'y aurais pas prêté attention, mais il me semble avoir entendu mon prénom. J'entrouvre la porte, pour mieux comprendre la conversation et peut-être avoir un meilleur aperçu. Rurik se tient à côté de son assistant. Ce dernier n'est pas aussi pourri que le coach mais n'oserais jamais aller à l'encontre de ce qu'il dit. Aussi atroce que cela puisse être.

« Quand comptez-vous laisser April patiner de nouveau ? »

« Pourquoi tu demandes ? »

« Simple curiosité. »

Rurik ne le regarde même pas dans les yeux, complètement désintéressé par le sujet.

« Dans un an ou deux peut-être. Ça dépend de si ses cafés sont bons ou pas. »

Il ricane avec contentement, alors que ma main se resserre sur la poignée. Il ne peut pas être sérieux. Dans deux ans ce sera trop tard.

« Coach ! C'est peut-être beaucoup vous ne pensez pas ? Ça nous ferait perdre un bon élément. »

« Un bon élément ? Si elle fait toujours partie du club, c'est par simple pitié. Elle ne finira jamais première. Elle a pas ce qu'il faut. Ça sert à rien de gaspiller notre énergie dans une cause perdue. »

Ce n'est plus une simple fissure. Sans que je m'en rendre compte cette dernière s'est effritée et élargie, et maintenant, tout s'effondre. J'ouvre la porte violemment, faisant sursauter les deux hommes au passage. Rurik me fixe l'œil mauvais, mais étrangement, je n'en ai plus rien à faire.

« Doucement avec la porte elle ne... »

Je ne lui laisse pas le temps de finir sa phrase et lui jette sa tasse de café au visage.

« Avec deux sucres, juste comme tu l'avais commandé. »

J'accompagne mes paroles d'une légère révérence et fait volte-face. Accélérant de plus en plus. J'ai besoin de quitter cet endroit. Au loin j'entends les hurlements de colère de mon coach, qui ameutent petit à petit l'entièreté de la patinoire. Je n'y fais pas attention. À vrai dire je ne vois plus, ma vue est trouble et ma poitrine me fait mal. J'ai besoin d'air. Je passe la sortie de la patinoire à toute allure, sans m'arrêter. Mon but ? M'éloigner les plus possible de cet endroit. Bientôt mes poumons me brûlent et mes jambes me hurlent de faire une pause. Mais je ne les écoute pas. Du moins, pas avant d'avoir mon arrêt de bus en vue. J'arrive à destination à bout de souffle et m'adosse contre ce dernier pour ne pas m'effondrer. C'est étrange, je devrais culpabiliser, me sentir mal, paniquer parce que je viens sûrement de perdre mon coach et ma place dans le club. Mais ce n'est pas le sentiment qui domine. Ça fait même plutôt du bien enfaite. Pour la première fois depuis longtemps, j'ai l'impression de réellement respirer. Je me laisse glisser sur le sol et enfouis ma tête dans mes genoux, décidant de laisser les regrets pour plus tard. Si un jour je revois l'étrange garçon venu m'aborder plus tôt, il va falloir que je m'excuse de lui avoir fait perdre son pari. Au final, malgré tous ses beaux discours, j'ai fui.

Mes pensées son bien vite interrompues lorsque quelque chose me tapote l'épaule, me faisant sursauter. Décidément cette journée ne finira jamais. Je relève la tête avec appréhension pour trouver devant moi :
une tasse de café.



NDA : Oui le prénom du coach est cliché. Trouver des prénoms quel enfer.

August et AprilUnde poveștirile trăiesc. Descoperă acum