Chapitre 26

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Aujourd'hui

JULIETTE

Les moments passés à Bordeaux resteront gravés dans mon esprit. Cela fait maintenant cinq ans, et j'ai l'intime conviction que je suis enfin parvenue à avancer. Ma mère me manquera éternellement mais j'ai réussi à lui dire au revoir. Et je me sens tellement plus légère depuis. Le problème, c'est que quelque chose d'autre pèse désormais sur mes épaules.

Je suis amoureuse.

J'aime Léo comme je ne pensais pas être capable d'aimer quelqu'un. Je ne sais même pas comment on fait. Je n'ai jamais connu de relations amoureuses, même avant ce tragique événement. J'étais la fille seule, solitaire. J'avais quelques copines mais les garçons ne me regardaient pas.

Après mes dix-huit ans, quand je suis partie à Paris, je me suis lancée dans les coups d'un soir et ça me convenait très bien. J'ai fait ma première fois avec un musicien qui ne savait pas trop s'y prendre mais j'en garde un bon souvenir quand même.

C'est fou à dire mais en vingt-quatre ans d'existence, c'est la première fois que je suis amoureuse. Je ne suis même pas sûre et certaine que ça soit ça, finalement. Mais les bonds que fait mon cœur et les papillons dans mon ventre ne me font penser qu'à ça. Et je suis si bien avec lui. Tellement bien que j'ai trop peur de tout gâcher en lui disant.

C'est pourquoi, nous allons faire comme si de rien n'était. Je m'étais promis de ne jamais aimer. Ça, c'est trop tard. Par contre, il n'est pas trop tard pour éviter de gâcher notre amitié.

Et je crois honnêtement que j'ai trop peur. J'ai peur que l'amour devienne trop passionnel. Qu'il se mue en quelque chose où on se ment, où on se trahit, où on commet le pire. J'ai peur de ce en quoi l'amour peut évoluer et je me suis conditionnée à l'éviter volontairement pendant cinq ans.

Ça continuera ainsi.

Si Léo me brisait le cœur, si lui, que j'estime tant, venait à me trahir, je ne sais pas si je m'en remettrais. Et inversement, je ne pense pas qu'il y arriverait non plus. Nous sommes deux âmes déjà usées, je ne peux pas prendre le risque de nous précipiter vers notre chute.

Je suis en train de me préparer un café et un jus d'oranges pressées quand Gaby débarque dans la cuisine.

— Coucou, ça va ? demande-t-elle.

— Je réfléchis trop.

— Par rapport à Léo ?

— Quoi d'autre ? dis-je avec un sourire timide.

Gaby s'approche de moi et me fait un câlin. Je ne sais pas ce que j'ai fait pour mériter une meilleure amie pareille.

— Je sais que ce n'est plus que de l'amitié. Mais je veux pas la perdre alors j'essaye de faire taire ces nouveaux sentiments, soupiré-je.

— On ne peut pas faire taire l'amour, Juliette.

— Je n'étais pas censée tomber amoureuse de lui.

— Ça ne se contrôle pas. Vous avez quelque chose qui vous unit depuis la première soirée qu'on a passée avec les garçons. Et je pense que pour aimer sincèrement, on se doit en quelque sorte de passer par l'amitié.

— Je ne veux pas gâcher ce qu'on a. Je ne sais même pas ce qu'il ressent lui. Il a perdu la femme qu'il aimait, je ne peux pas venir lui dire que je l'aime à mon tour alors qu'il n'a pas fait son deuil totalement.

— Il ne s'agit pas de remplacer Léna ou de lui demander de l'oublier, Juliette.

— Non, jamais je ne lui demanderai une chose pareille.

— Alors, tu as le droit de l'aimer. Et ça n'inclut pas nécessairement de vous détruire.

— Tu lis dans mes pensées ou quoi ? lâché-je.

Elle rigole et me prend à nouveau dans ses bras. J'aimerais me dire qu'elle a raison mais je n'y parviens pas encore. Je ressens le besoin de me changer les idées, d'autant plus que nous ne nous sommes plus vraiment vus avec Léo depuis notre retour. On dirait presqu'on s'évite tous les deux sans vraiment le vouloir. Ou peut-être qu'il le fait exprès, lui.

Gaby me propose d'aller boire un verre et passer une soirée entre filles pour penser à autre chose. J'accepte avec grand plaisir et me prépare. Je me maquille, ça fait un petit temps que je ne l'avais plus fait.

Et sincèrement, je me trouve jolie. Je me trouve même canon. C'est important de se le dire de temps en temps.

— T'es une bombe ma vieille, dis-je face à mon miroir.

Nous arrivons assez tard. Il y a déjà beaucoup de monde et nous avançons avec difficulté. Gaby me tient la main pour qu'on ne se perde pas. J'aurais voulu que les garçons soient là. Gaby et moi ne nous sommes jamais senties autant en sécurité que lorsqu'ils sont avec nous.

Gaby et moi nous faisons offrir une tonne de verres. Vraiment, une tonne. Je le sais parce que je suis complètement saoule. Gaby l'est aussi, peut-être juste un peu moins. Je veux me resservir, cette fois en payant moi-même, lorsque le barman m'arrête en repoussant mon verre.

— J'ai soif chef ! crié-je.

— Je pense que tu as suffisamment bu pour ce soir.

— Normalement, c'est moi qui décide de ce genre de choses !

— Ce soir, c'est moi, ma belle. Je ne voudrais pas qu'il vous arrive quelque chose à toi et ta copine.

Tout à coup, Feeling Good de Avicii se lance. Gaby me lance un regard qui veut dire Non, Juliette. Sauf que, j'en ai rien à faire. Je pose un pied sur une des chaises-tabourets face au bar et monte dessus. Je ne sais même pas comment je fais pour ne pas tomber. Le serveur essaye de me crier de redescendre mais je n'entends plus rien. Juste la musique. Je crois qu'il finit par abandonner car je le perds de mon champ de vision.

Je n'ai pas l'habitude de faire de telles choses dans un bar bondé. Mais je me fiche totalement de ce qu'on va pouvoir penser. Je remarque que beaucoup de regards sont posés sur moi tandis que je laisse les paroles et l'alcoolm'emporter.

Gaby lève son téléphone et je remarque qu'elle me prend en photo. Je ne réagis pas. Je fais rouler mes hanches au rythme de la musique et chante. Il ne faut pas beaucoup de temps pour que Gaby me rejoigne et que nous nous collions toujours plus au rythme de la musique.

Je crois que c'est osé. Mais je ne suis pas sûre.

Nous percevons des sifflements de là où nous sommes et mes mains posées sur Gaby je me dis que je n'oublierai jamais ce moment avec elle.

— Waw ! crie une voix familière.

Je baisse les yeux et je vois Ethan. Mais Ethan n'est pas seul. Juste derrière, il y a Léo. Et il me regarde de façon si intense. Il ne faut qu'un seul regard.

Un seul regard et je ne vois plus que lui.

Il me tend sa main pour que je descende de ma scène improvisée, et des frissons me parcourent tout le corps. Ethan prend celle de Gaby et nous remettons les pieds sur terre après notre spectacle.

— Je vois que tu t'amuses, souffle Léo dans ma nuque.

— Toujours moins quand tu n'es pas là.

— Tu n'avais pas l'air d'avoir besoin de moi.

— J'ai toujours besoin de toi.

Il me regarde et je vois le bar qui tourne. Je ne sais pas si c'est l'effet de ses yeux sur moi ou si c'est juste l'alcool. Mais ça tangue. Fort.

— Allez, on va te chercher un verre d'eau, déclare-t-il.

Ils finissent par nous ramener et nous mettre dans notre lit. Nous sommes vraiment dans un état terrible. Je n'ai pas le temps de leur dire merci qu'ils ont déjà disparu. Et je m'endors. 

Je coulerai avec toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant