Chapitre 1

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Aujourd'hui

LÉO

Aujourd'hui, ça fait deux ans. Deux ans que son souvenir me hante. Je pense que perdre un être cher est inexplicable. Je crois aussi que la douleur est propre à chacun. Certains pleurent, d'autres restent silencieux, quelques-uns sombrent, d'autres se raccrochent à ce que la vie leur laisse. Deux ans, mais cette soirée se retrouve dans mes cauchemars trop souvent. Certaines nuits sont plus douces que d'autres mais la peine ne me quitte jamais, elle s'atténue juste. Pourtant, certains jours, j'ai l'impression qu'elle est plus vive qu'avant. Et qu'elle ne me quittera plus jamais.

Le premier sentiment qui m'a habité, quand j'ai réalisé, c'est la culpabilité. Et se sentir coupable est le pire fardeau que la vie puisse nous infliger. Aucun de nous n'est assez solide pour cela. Comment n'ai-je pas vu ? Comment ai-je pu être aveugle face à la douleur de la seule femme que j'ai aimée ? Le deuxième sentiment, ça a été la colère. Contre moi. Contre la vie. Contre le monde entier. Comment l'Univers peut-il permettre de mourir aussi jeune? Comment est-ce possible?

Alors, j'ai sombré. J'ai annulé ma participation aux championnats d'Europe dès le lendemain. Il était hors de question de ne pas l'accompagner dans son dernier voyage. Puis, je n'avais pas la force. J'ai tout abandonné. J'ai quitté l'appartement. J'ai laissé Paris et nos milliers de souvenirs dans cette ville. Je suis retourné vivre chez mes parents qui m'ont soutenu tout du long.

L'enterrement a eu lieu de façon intimiste. Les parents de Léna, ses grands-parents, quelques oncles et tantes, sa meilleure amie et moi, accompagné de mes parents. Nous avions besoin de vivre ce moment sans hypocrisie. C'était presque étrange de ressentir notre souffrance en écho dans les autres. Nous avions tous mal. Nous pleurions tous. Incapables de nous consoler, nous vivions notre peine dans la solitude tout en étant à côté des uns et des autres.

Durant un certain temps après son décès, j'appelais les parents de Léna tous les jours. Parfois, aucun de nous ne parlait. On se contentait d'écouter les soupirs lourds de chacun.

Je crois que c'est dans le silence que s'installe allègrement la douleur.

Je ne sais toujours pas comment ils sont parvenus à survivre à cette épreuve. Perdre un enfant, quel châtiment plus horrible ? La chair de notre chair. On n'est pas censés voir partir ceux à qui on a donné la vie.

Les mois se sont écoulés. Nous avons arrêté de nous appeler tous les jours mais nous nous écrivons de temps à autre. Je sais qu'ils vont mieux, qu'ils remontent la pente même s'ils n'oublieront jamais. Et quelque part, je suis soulagé de savoir que malgré le divorce, ils prennent soin l'un de l'autre. Ils ont décidé de continuer à vivre ensemble tout en sachant qu'ils ne sont plus un couple marié. Je pense qu'ils avaient besoin de ça pour apprendre à vivre sans leur enfant. Ils avaient besoin d'être ensemble.

J'ai fini par accepter que c'était ainsi. Qu'elle ne reviendrait pas. Que je devais me battre pour nous deux. Elle disait être faible, je pense qu'au contraire, elle était trop forte. Je me devais de l'être à mon tour. J'ai trouvé un job dans un restaurant de mon village. J'étais mal payé mais ça me permettait de penser à autre chose. J'ai fini par me découvrir une petite passion pour la cuisine. Puis, est venu le moment où je me suis rendu compte qu'à part la natation, je n'avais rien connu. Je n'ai que 25 ans et pourtant, je ne sais pas quoi faire de ma vie. J'ai gâché toutes mes chances pour les championnats du monde et les Jeux Olympiques. C'est ainsi. Je l'ai accepté.

***

J'ai rendez-vous avec mon ancien entraîneur pour discuter des choix qui s'offrent à moi à l'heure actuelle. Je sais d'avance que cette entrevue ne changera rien : je ne reprendrai pas la compétition. Ma décision est prise depuis le jour où mon étoile a éclos dans le ciel. Si je revenais en championnat, j'aurais l'impression de l'abandonner à nouveau. Je n'y arriverais pas.

Je coulerai avec toiWhere stories live. Discover now