48. Une chaise à la cave

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Je passais quelques mois dans une grande ville au nord de l'Allemagne. Nous habitions dans un quartier périphérique, au terminus d'une ligne de métro. Notre immeuble d'une dizaine d'étages s'étalait tout en longueur dans une zone encerclée d'autoroutes. Les quelques immeubles de ce quartier de « Moulins » traînaient une réputation de ghetto : leurs habitants étaient pour la plupart des étrangers ou bien des familles pauvres souvent originaires de Silésie. Les conflits n'étaient pas rares, tout comme la drogue et la violence.

J'avais trouvé l'un ou l'autre mini-job et j'allais manger à la soupe populaire avec les sans-abris, qui étaient contents de m'apprendre l'allemand ! Quand tout le monde était parti, je faisais le ménage des lieux et je recevais une petite rémunération pour ce travail.

Cet hiver-là, la température était descendue en dessous de zéro. Avec Monika, j'étais allée écouter une conférence en ville. Ça s'est terminé vers vingt-deux heures. Monika est rentrée courageusement à vélo tandis que je prenais le métro... Au terminus, au moment où je descends de la rame de métro, j'aperçois en face de moi, assis sur un banc, un sans-abri du nom de Walter. Je l'avais rencontré à la soupe populaire. Il ne faisait pas partie des « fort en gueule » mais était plutôt discret et assez solitaire. Il était petit de taille, rouge de visage et il lui manquait deux doigts à la main gauche, sans doute à la suite d'un accident. Il me faisait penser à mon père, menuisier, qui avait perdu deux doigts, tranchés par une machine de l'atelier... Donc, ce soir-là, je me retrouve en face de Walter. Nos regards se croisent. Il se lève et me dit sans préambule : « Tu n'aurais pas une chaise pour moi à la cave ? » Dans ma tête se bousculent toutes sortes de pensées : « Le laisser entrer dans le sous-sol de l'immeuble et le laisser passer la nuit dans notre cave ? Impossible ! » Je pense à Karl, sans-abri retrouvé mort dans les toilettes publiques où il avait passé la nuit... Je pense qu'une de mes sœurs est momentanément absente et que nous avons de la place chez nous. Mais comment va réagir Monika ? J'explique à Walter que dormir à la cave, ce n'est pas possible. Peut-être chez nous ? Mais il faut demander à Monika si elle est d'accord. Et nous voilà en route. Quand Monika arrive, elle nous trouve dans la cuisine en train de boire une tisane. Quel n'est pas son étonnement ! Je laisse Walter seul avec sa tisane et un peu anxieux de notre décision et je me retire dans une chambre avec Monika pour lui expliquer la situation. Elle avait déjà tout compris, n'était pas trop enthousiaste, mais accepte à condition qu'il ne s'attarde pas. Par précaution, je lui propose de mettre en lieu sûr le peu d'argent et les médicaments que nous avons à la maison. Walter est heureux de pouvoir passer une nuit au chaud. Je lui demande de partir tôt le lendemain matin : « J'aimerais que tu t'en ailles avant que les enfants ne partent à l'école. Tu comprends, si nos voisins voient que les sœurs hébergent un homme pour la nuit, ça n'est pas bon pour nous ! Ils vont se faire des idées... »

Nous avons tous bien dormi. Le matin, Monika est partie très tôt à son travail, comme d'habitude. A moi de me débrouiller pour faire en sorte que Walter ne s'installe pas chez nous. Ce n'était pas facile de réveiller Walter ! Il dormait vraiment très profondément. Après plusieurs tentatives... et une bonne odeur de café, il a quand même compris que le moment était venu de partir. Manque de chance : nous sommes arrivés à l'ascenseur au moment où tous les enfants partaient pour l'école. « Tant pis ! » ai-je pensé. Mais une fois dans l'ascenseur, Walter m'a tourné le dos et a fait celui qui ne me connaît pas. Pour moi, c'était le signe d'une grande délicatesse et cela m'a touchée. Quand les enfants se sont éloignés, j'ai rejoint Walter pour lui montrer comment retrouver le métro : il était un peu perdu.

J'ai passé la matinée à faire le ménage et la lessive et j'ai bien aéré l'appartement. Quand j'ai revu Walter à la soupe populaire, il m'a fait un clin d'œil... Il ne m'a plus jamais demandé si j'avais une chaise à la cave.

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