31. Enchanté...

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Nous avons deux appartements en colocation au premier étage de notre immeuble. Entre les deux se trouve un appartement plus petit, occupé par un jeune homme qui aime fumer sur son balcon. Les effluves de haschich nous parviennent par les portes ouvertes du balcon...

A l'étage au-dessus, un couple âgé d'immigrés italiens coule une retraite heureuse : lui est souvent installé devant la télévision et elle papote au téléphone avec ses copines. Dans l'appartement d'en face habite un homme âgé qui se souvient avec nostalgie de son pèlerinage à pied à Saint-Jacques de Compostelle : il y est allé en plusieurs étapes. Un poster fixé sur la porte évoque ce lieu mythique et le bâton du pèlerin est posé devant : c'est un beau bâton de bois sculpté qui semble tout prêt pour un prochain départ. L'appartement du milieu a été loué par Juan, un jeune homme en recherche d'emploi : il s'est lié d'amitié avec son voisin âgé et se montre aimable et souriant avec tous.

Fin de semaine. Je me réveille en sursaut dans la nuit. J'entends des cris et des bruits inhabituels dans le couloir. Dans la chambre voisine, Simone dort profondément : sans ses appareils auditifs, elle n'entend rien. Je tends l'oreille. J'essaie de comprendre. On dirait que quelqu'un casse tout sous l'emprise d'une grande colère. Je déverrouille la porte et l'entrouvre doucement : ce n'est pas sur notre étage. A ma grande surprise, j'aperçois Jeanine, 82 ans, en chemise de nuit, les cheveux blancs en bataille, qui sort de l'appartement d'en face. Jeanine est d'habitude très peureuse. Je suis étonnée de la voir monter l'escalier d'un pas décidé : elle va voir ce qui se passe. Le vacarme cesse et je reconnais la voix de Juan qui s'adresse à Jeanine d'un ton enjoué : « Bonjour Madame. Enchanté de faire votre connaissance ! » J'ai peur pour Jeanine et je lui fais de grands signes pour l'inciter à descendre et retourner dans l'appartement... ce qu'elle fait, ayant bien vu que Juan n'est pas dans son état normal. Les portes sont refermées et verrouillées. Le vacarme reprend de plus belle. Juan s'acharne sur quelque chose que nous ne voyons pas...

La police est venue. Qui a appelé la police ? Un voisin, sans doute. Le lendemain matin, je vais constater les dégâts. La lampe de l'étage est en miettes et les débris, par terre, pourraient blesser quelqu'un. Il y a des traces de sang : probablement que Juan s'est coupé. Le beau bâton sculpté, témoin et compagnon du chemin de Saint-Jacques, gît en deux morceaux sur le sol. Quelle tristesse ! Je ramasse les débris et balaie un peu. Pourquoi cette violence subite ?

Quelques jours plus tard, on sonne à la porte. C'est Juan, un peu penaud, un pansement sur la main, qui vient s'excuser pour les désagréments occasionnés. Autour d'un café, il nous explique être allé ce soir-là à une soirée avec des potes. Il pense qu'on a mis à son insu une drogue dans son verre... Nous ne saurons jamais ce qui s'est réellement passé, mais nous sommes heureuses de retrouver Juan tel que nous le connaissons, un voisin aimable et sympa...

Aujourd'hui Juan n'est plus là. Il a déménagé. Il a trouvé du travail dans une autre ville. Nous avons une nouvelle voisine : « Enchantée de faire votre connaissance ! »

Merci à Fernande pour la photo...

Petites histoires du quotidienOpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz