Chap 52 : pdv Jill (présent)

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   Ce soir-là, je sursautai puis dévisageai Gall avec surprise.

Quelqu'un venait de sonner à la porte.

Nous échangeâmes un regard perplexe, scintillant d'espoir. Chaque fois que la sonnette retentissait, nous espérions toujours que ce soit elle, mais jusqu'à maintenant, cela n'avait jamais été le cas.

Hailie. Si ça pouvait être toi.

Je me levai rapidement, trottinant jusqu'à la porte d'entrée. Un sentiment d'urgence me guidait toujours lorsque quelqu'un se manifestait à un moment imprévu. J'avais beau me raisonner à chaque fois, me dire que cela ne pouvait pas être notre fille, mais j'espérais malgré tout. Je ne pouvais pas faire autrement.

Tel ne fut pas ma surprise lorsque je croisai le regard d'un jeune homme intimidé. Grand, sportif, le regard triste. Il marmonna un timide bonjour tout en fixant ses converses rouges usées. D'habitude plein d'assurance et souriant, le garçon se présenta tel un fantôme sur le seuil de notre maison. J'eus du mal à le reconnaître, derrière sa mèche brune, voilant ses yeux sombres.

-Théo ? C'est bien toi ? demandai-je afin de briser la glace.

En l'observant, je sus directement que cela avait été une épreuve pour lui de venir jusqu'ici et de gravir les marches de notre porche.

Je lui souris aimablement pour le mettre à l'aise.

-Bonjour Madame Holloway, répéta-t-il maladroitement. 

-Merci pour ta visite. Comment vas-tu ?

Il garda la tête baissée, le visage sévère, fermé.

-Je suis vraiment désolé, murmura-t-il entre deux sanglots.

Je contemplai le jeune homme et celui-ci finit par se mettre à pleurer, tel un petit enfant vulnérable. Ce grand gaillard attendrissant pleurait devant moi. Mon cœur se brisa, car je devinai que les larmes qui s'écoulaient aujourd'hui sur son visage avaient été contenues depuis bien trop longtemps, ravalées maintes et maintes fois.

-De quoi parles-tu Théo ? Nous ne t'en voulons de rien, Gall et moi, dis-je en avançant une main réconfortante vers lui afin de saisir son épaule fermement.

-Je n'aurais jamais dû la laisser partir... Elle est partie toute seule ce jour-là...

-Je sais que tu l'as vue après son cours de danse.

-J'aurais dû la retenir, j'aurais dû la rattraper. Je ... Je suis vraiment désolé.

La main toujours sur son épaule, je le guidai lentement jusqu'à un banc en fer forgé puis je l'invitai de la tête à s'asseoir un instant. Le jeune homme tremblait.

Il s'exécuta en silence, tout en essayant ses larmes.

-Tu n'y es pour rien, Théo. Tu sais, nous avons aussi eu notre lot de « J'aurais dû ».

Il leva ses yeux humides vers moi pour me regarder franchement pour la première fois depuis son arrivée.

-J'aimerais revenir en arrière pour agir autrement. Prendre une autre décision, dit-il avec amertume.

-J'aimerais aussi revenir en arrière et ne jamais prendre la décision de la laisser rentrer à pied tous les jours. J'aimerais aussi changer le passé, tout comme Gall, mais c'est impossible.

-C'est injuste.

-Je trouve aussi.

Je lui souris tendrement puis regardai d'un regard lointain le jardin s'étendre à nos pieds, imperturbable.

-Elle t'aimait beaucoup, tu sais.

Il me regarda surpris.

-C'est vrai ?

-Hailie te trouvait différent des autres garçons, tu as été un vrai ami pour elle. En fait, je devrais te remercier pour ta gentillesse.

Il me sourit timidement, mal à l'aise face à mes propos. Ses joues se mirent à rougir peu à peu. Il finit par rire nerveusement.

-Vous dites ça pour me remonter le moral.

-Je t'assure que non.

-Elle vous parlait souvent de moi ?

-Jamais. En grandissant, elle était devenue plutôt secrète. Puis, récemment, j'ai réalisé que je n'étais pas vraiment proche de ma fille.

-Mais alors comment savez-vous que ... ?

-Je l'ai lu.

-Comment ça ?

-J'ai trouvé son journal intime, Théo.

-C'est vrai ?

-Que ce soit une bonne ou une mauvaise décision, je l'ai lu entièrement. Elle parlait plusieurs fois de toi. Tous ces compliments viennent d'elle.

-Merci de me le dire madame Holloway.

Il se frotta les yeux d'un mouvement rapide de la main puis finit par se lever. Notre discussion venait de se clore d'elle-même. Certes, Théo avait encore de la peine, mais il se sentait déjà moins accablé.

-Bonne nuit madame Holloway, dit-il en rejoignant le jardin d'un pas hésitant.

-Merci d'être venu, Théo.

Il se tourna vers moi pour me faire signe une dernière fois.

-Théo ? Ce n'est pas de ta faute, d'accord ?

Il hésita un instant avant d'acquiescer, peut-être encore écrasé par le poids de la culpabilité, mais malgré tout un peu plus léger qu'avant.

-D'accord. Je vais essayer d'y croire, dit-il en secouant la tête avec conviction.

Il finit par disparaître sur la route poussiéreuse. Il venait de comprendre d'où Hailie tenait son si beau sourire. Sa mère avait le même.

Il sut instantanément que ce beau sourire lui manquerait pour longtemps, très longtemps.

Il ne l'oublierait jamais.

On ne saura jamaisWhere stories live. Discover now