Chap 39 : pdv Inspecteur August J. (présent)

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   August Johannsen avait pris l'habitude de se promener dans la ville, chaque après-midi. L'air frais lui faisait un bien fou et cela occupait ses longues journées de nouveau pensionné.

Cela faisait plusieurs mois qu'il était sur la touche et il se sentait perdu. Les longues heures qui peuplaient ses semaines se ressemblaient toutes. De plus, il se sentait inutile.

Il avait le temps de ressasser le passé, de décortiquer ses erreurs, ses manquements. Parfois, il parvenait à oublier l'espace de quelques heures son échec, lorsqu'il passait un bon moment avec son épouse ou avec sa fille Chelsea, mais ses vieux démons revenaient au galop lorsque le silence retombait.

Ses pensées l'étouffaient, le torturaient.

Encore et encore.

Cet après-midi-là, il ne put cacher sa surprise lorsqu'il aperçut Gall, attablé au restaurant de Loélia. Il sirotait un milkshake, seul avec lui-même. Le dos courbé, le regard fuyant, personne n'avait osé l'aborder pour demander de ses nouvelles. Sa solitude lui creva le cœur.

Il pénétra d'un pas hésitant dans le restaurant, fit signe à la gentille Loélia, charmante dame d'une cinquantaine d'années, dévouée et souriante. Le visage rond, des boucles rousses, des points de rousseur sur les joues, elle inspirait confiance et était totalement dévouée à sa clientèle depuis des dizaines d'années.

Elle lui fit signe lorsqu'elle l'aperçut et le regarda s'approcher de Gall avec un sourire d'encouragement.

-Bonjour Gall ! murmura timidement August.

Il leva les yeux sur lui avec étonnement, déstabilisé que quelqu'un tente enfin une approche.

-Tu oses m'adresser la parole ? répondit Gall avec ironie.

-Bien sûr.

-Tu es bien le seul ! Tout le monde m'évite dans cette ville depuis que ...

Gall ne finit pas sa phrase.

August prit la liberté de s'installer face à lui. Il le scruta un instant avant de lui sourire sincèrement.

-Comment vas-tu, Gall ?

-Comme un père qui a perdu sa fille.

Pris au dépourvu, August resta muet. Il frotta nerveusement son front de la main.

-Je me sens mal, August. Je me sens vraiment mal. On dirait que le temps n'arrange rien à notre douleur.

-Je ne sais pas quoi te dire. Je suis vraiment désolé pour toi et Jill.

-Parfois, il n'y a rien à dire ! C'est ta présence qui me fait du bien. Juste ta présence. Merci d'être venu me parler.

August sentit la pression retomber. Il avait bien fait de tenter cette approche. Même intimidé et maladroit, il avait pris la bonne décision. Ne pas continuer sa route comme tous les autres.

Ne pas faire comme si rien ne s'était passé.

-Ça fait quoi d'avoir une fille qui aura bientôt 18 ans ? demanda Gall.

-Ne me demande pas ça. Que veux-tu que je te dise ?

-Désolé pour cette question stupide.

-Ne t'inquiète pas Gall. Tu sais Hailie manque énormément à Chelsea.

-J'ai peur de l'oublier, dit soudain Gall.

-Tu ne l'oublieras jamais. Impossible.

-Bien sûr que non, mais je veux dire...

Gall réfléchit un instant tout en passant une main nerveuse dans ses cheveux. Il commençait à grisonner. Ces quelques années avaient laissé des traces indélébiles sur son physique et son mental.

Il finit par finir sa phrase :

-...oublier ses traits, oublier le son de sa voix.

August écoutait respectueusement, le visage grave.

-Lorsque je ferme les yeux, les traits de son visage s'évaporent peu à peu. J'ai envie de bondir pour les retenir, mais je n'y parviens pas. Ils s'envolent. Ils disparaissent et cela me donne envie de hurler.

-Je crois qu'il restera toujours en toi des souvenirs d'elle. Certains ne s'effaceront jamais.

Gall croisa son regard, les yeux brillants. Il retenait ses larmes, pudiquement, mais l'émotion était là. August ressentit violemment sa fragilité.

-Ce qui me fait mal c'est qu'elle restera toujours la Hailie de ses 16 ans. J'aurais tant voulu la connaître plus âgée.

-Tu sais, j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour la retrouver. Mais ...

-Je sais, August. Je sais.

August finit par se lever. Il resta un instant à ses côtés, la main posée sur son épaule.

-Je serais prêt à tout pour vous ramener Hailie.

-Jill a trouvé son journal intime. Il était caché dans sa chambre.

-Ah bon ? Ça m'étonne que mon équipe ne l'ait pas trouvé à l'époque...Je...

-Elle l'a lu. Et je dois t'avouer que je ne sais pas quoi en penser.

-Tu vas peut-être être surpris, mais je la comprends.

-Au début, je lui en ai voulu, mais maintenant, je ne sais plus.

-Et si tu le lisais toi aussi ?

-Tu crois ?

-N'est-ce pas incroyable de trouver ce journal ? 

-J'ai peur de lire ses secrets. 

-Peut-être y a-t-il des indices dedans ?

-Jill dit que non.

-Mais ça reste incroyable, tu ne trouves pas ?

-Nous ne sommes pas censés les lire. C'était son jardin secret.

-Je le prendrais plutôt comme une chance.

-Une chance ?

-Une chance de redessiner ses traits dans ta mémoire.

On ne saura jamaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant