Chap 48 : pdv Jill (présent)

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   Je jetai un coup d'œil à la façade d'une grande villa soigneusement entretenue. J'étais devant la porte d'entrée de la maison de mes parents depuis plusieurs minutes maintenant, mais je n'osai pas appuyer sur la sonnette. 

Je me sentais comme bloquée. Le seuil serait dur à franchir, mais je voulais y arriver. Je devais ravaler ma fierté pour mes parents. Pour ma maman surtout. Je ne lui avais plus parlé depuis notre dernière dispute.

J'hésitai encore un peu, tout en me tordant les doigts nerveusement. Mais attendre ne servait à rien. Je devais sonner. Je devais agir.

Ma maman était différente depuis que papa était malade et cette constatation me bouleversait au plus haut point, peut-être avait-elle dû surmonter trop d'épreuves ? Peut-être avait-elle besoin que je lui tende la main comme elle l'avait toujours fait avec moi ? C'était à moi de changer. De devenir meilleure. Je voulais tirer la leçon de mes erreurs.

Je ne parvenais plus à lui parler comme avant et cela me brisait le cœur. J'avais tant de choses à lui confier, à lui raconter. Elle avait toujours été ma confidente et je ne voulais pas que ça change.

C'était comme si la maladie de papa puis la disparition d'Hailie avaient laissé un malaise toujours plus grand entre nous deux.

Que dire ? Que confier ? Comment ne pas blesser ? Comment trouver les mots justes ? Nous n'étions plus aussi spontanées qu'avant.

Je finis par sonner. Birdie vint m'ouvrir, le visage tiré, pâle. Elle me sourit spontanément comme si nous ne nous étions jamais disputées :

-Entre Jill !

Tout en la suivant, j'observai ma maman. Certes, elle avait encore un peu maigri, mais son pantalon de velours bleu foncé lui allait toujours aussi bien. Un polo bleu et blanc ligné était surmonté d'un gilet rose. Ses cheveux courts reflétaient parfaitement son dynamisme et sa modernité. Ma maman ne se laissait jamais abattre. C'était une battante et je savais de qui tenir.

Birdie ne me demanda pas le but de ma venue. Silencieuse, elle continua à s'activer dans le salon, comme si de rien n'était. Un chiffon à la main, elle s'évertuait à chasser une poussière inexistante. Ne pouvait-elle jamais s'arrêter deux minutes ? Son hyperactivité était-elle le reflet de sa peine ?

Mal à l'aise, je fus surprise de ne plus me sentir chez moi. Pourtant, ces quatre murs étaient ceux de mon enfance.

-Tu ne dis pas bonjour à papa ? demanda-t-elle soudain.

Son ton me parut dur, amer, peut-être même las. Je tournai les yeux pour fixer mon père dans son fauteuil.

-Si, si maman. Bien sûr que je vais dire bonjour à papa.

Il ne me reconnaîtra même pas. À quoi bon ?

Je posai un timide baiser sur la joue de mon père endormi puis je me tournai pour faire face à Birdie, toujours aussi occupée.

-Maman ?

Silence.

-Je voudrais m'excuser pour les reproches que je t'ai faits l'autre jour. Je n'étais plus moi-même.

Elle ne répondit rien.

-Maman ? Tu entends ce que je te dis ?

Silence.

-Nous étions si proches avant tout ça. Cela ne te manque pas ?

Birdie stoppa net, gardant malgré tout le regard baissé, fuyant.

-Maman ! Tu me manques ! Déjà que papa ne sera plus jamais comme avant et qu'Hailie... enfin tu vois ce que je veux dire... Pourquoi gâcher ce qu'il nous reste ?

Les yeux de ma mère s'humidifièrent brusquement. Cela me bouleversa.

-Je crois que je n'y arrive plus... C'est tout, finit par lâcher Birdie, la voix tremblante.

-Tu as toujours été ma confidente. J'en ai assez de tout perdre. Je n'en peux plus de tout perdre ! Qu'est-ce qui est arrivé à notre famille si unie ?

-Ce qu'il nous est arrivé ? Répéta-t-elle en larmes. Et bien, nous avons perdu papa puis Hailie. Voilà ce qu'il nous arrive ! C'est trop pour une seule famille.

Birdie renifla puis répéta dans un souffle :

-C'est beaucoup trop.

-Justement, nous devons continuer à nous serrer les coudes. Tu ne crois pas ?

-Je suis censée te soutenir, te remonter le moral, trouver des réponses à toutes tes questions, mais c'est au-dessus de mes forces, confia Birdie, totalement désemparée.

D'habitude, maman cachait ses faiblesses, mais aujourd'hui, elle paraissait ne plus parvenir à faire bonne figure.

-Maman, tu ne dois pas toujours avoir une solution pour tout. On devrait peut-être arrêter de mettre la barre trop haute, tu ne crois pas ?

Birdie finit par sourire. Ses belles dents blanches me rappelèrent celles d'Hailie et cela me pinça le cœur. Son si beau sourire.

-Je ne trouve pas les mots pour te consoler. J'aimerais tellement ... Je ne sais pas quoi te dire quand je constate votre détresse, à toi et à Gall, murmura Birdie.

-En fait, je ne sais pas quoi te dire non plus. Par rapport à papa ou même à Hailie. Comment mettre des mots sur ce qui est arrivé à Hailie ? Je crois qu'il n'y a tout simplement plus rien à dire.

-Je suis tellement désolée, Jill.

-De quoi ?

-Pour ce que je t'ai fait.

-Tu ne m'as rien fait maman. Tout est de ma faute.

-J'aurais dû te dire ce qu'Hailie m'avait confié. Mais j'avais peur de la trahir et peur de t'attrister aussi.

-Ne te torture pas maman, tu as fait le bon choix. Je crois même que si tu m'en avais parlé, je n'aurais pas su t'écouter à l'époque. Je n'étais pas prête à me remettre en question.

-Merci Jill.

-J'aurais juste voulu qu'elle sache que je l'aimais de tout mon cœur. Que je n'ai jamais regretté sa naissance, mais c'est comme ça. Je dois digérer mes erreurs.

-Je suis désolée, Jill.

-C'était à moi de comprendre tout ça et c'était à moi de lui dire « je t'aime » plus souvent.

-Papa serait fier de toi, tu sais. 

Je souris tendrement à ma maman. Je me retenais de pleurer. J'avançai la main vers la sienne  afin de la serrer le plus fort possible.

-Je t'aime maman. Tu n'en doutes jamais, j'espère ?

Elle hocha la tête tout en essayant une larme qui coulait sur sa joue.

-Je t'aime aussi Jill.

Je ne voulais plus jamais gâcher un seul instant.

Je ne voulais plus jamais gâcher une seule seconde de notre vie.

Je ne voulais plus rien regretter.

Nous avions déjà trop perdu.

On ne saura jamaisWhere stories live. Discover now