Chapitre 31

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 La route jusqu'au village de Eryn fut un peu plus longue que prévu. Ils avaient dû arpenter des plaines cabossées et des champs vides. Heureusement, ils parvinrent à destination sans encombre. Aucun sanglier géant, aucun pirate, seul le chant du vent. Pour aller plus vite, ils avaient suivi la rivière, comme Eryn le leur avait indiqué.

Durant leur traversée, les discussions s'étaient faites de plus en plus rares et un silence religieux avait fini par entourer d'une bulle sacrée les jeunes aventuriers. Law ne s'en plaignit pas ; pour une fois, il pouvait réfléchir tranquillement sans être dérangé par un de ses alliés. Durant toute leur marche, il ne cessa de jeter des coups d'œil à Luffy. Il parcourait sa nuque, son dos, son visage, ses épaules, ses bras, ses jambes nues d'un regard envieux et attentif, comme s'il se retrouvait face à une créature de toute beauté. Et chaque fois que le petit remarquait toute l'attention qu'il lui portait, Law finissait par détourner le visage, prétextant observer les environs.

Le petit groupe s'arrêta au pied d'une colline. Une dizaine de mètres les séparaient de ce qui ressemblait à un village. Tout le monde resta immobile quelques secondes, observant les lieux avec stupeur. Luffy baissa la tête, les yeux cachés par l'ombre de son chapeau. Nami passa une main devant sa bouche pour retenir un hoquet consterné. Sanji et Franky restèrent de marbre mais ceux qui les connaissaient bien savaient que, dans leur silence, ils étaient tendus. Brook regarda sans un mot, choqué. Un sourire d'une infinie tristesse bourgeonna sur le visage de l'enfant. Law serra les mâchoires.

Le village, composé de plusieurs lignes de maisonnettes qui menaient tous vers une bâtisse beaucoup plus grande — le tout formant, depuis les cieux, une sorte d'oeil dont la construction centrale formerait le point de la pupille —, semblait s'être trouvé sur le chemin d'une tornade. Certaines maisons n'étaient plus que ruines, laissant les gravats qui composaient leurs murs joncher le sol dans un silence d'agonie terrible, d'autres laissaient entrer le ciel bleu par leur toit éventré. Un peu plus loin, mille fragments de verre brisé reflétaient les rayons orgueilleux du soleil. Les fragrances métalliques, dures et impures du sang se mêlaient au parfum brûlé qui se dégageait de quelques rues. Nul doute, un incendie s'était déchaîné, en témoignait la noirceur de certains murs.

Nami réprima avec difficulté un haut-le-cœur. L'atmosphère, lourde, pesait sur leurs épaules de tout son poids, comme un pachyderme qui se vautrerait sur un sol trop fragile. La chaleur, déjà omniprésente sur l'île, resserrait ses griffes sur les pirates à l'approche de ce lieu dévasté.

Ils firent quelques pas pour entrer dans le village. Law resserra sa prise sur son nodachi, méfiant. De nombreuses lames gisaient à terre. Les fêlures qui zébraient les armes témoignaient d'un combat violent. Son esprit affûté commença à réfléchir à toute vitesse. L'affrontement qui avait eu lieu ici avait dû être brutal. Les dégâts subis par le village ne lui inspiraient rien de bon. Il observa les épées fendues. Il n'avait pas une grande expérience en tant que sabreur, mais il savait reconnaître de bonnes armes quand il en voyait. Law en était certain : ces armes étaient faites pour la guerre. Le peuple qui vivait ici se constituait donc, très certainement, de combattants.

Il regarda du coin de l'oeil l'enfant juchée sur les épaules du cyborg. Son physique n'était pas celui d'une fillette ordinaire. Il ne parvint pas à éviter la comparaison entre Eryn et Lamy. Enfant de la ville blanche, sa cadette était une enfant tout ce qu'il y a de plus banal. Enjouée, joyeuse, énergique mais elle ne présentait aucune caractéristique surhumaine. Eryn, en revanche, dégageait une aura qui n'avait rien de comparable à celle de Lamy.

Law retint un sifflement exaspéré. Penser à sa petite soeur lui était toujours désagréable. S'il avait fait le deuil de sa famille depuis longtemps, il considérait toujours que le décès de sa cadette était, au moins en partie, de sa faute. Ne l'avait-il pas condamnée en l'enfermant dans ce fichu placard ? Elle avait placé sa confiance en lui, il l'avait trahie en lui suggérant une solution qui l'avait conduite dans les bras de la mort. Il avait conscience qu'au fond, il n'était pas coupable. Mais chaque fois qu'il repensait à Lamy, une petite voix lui soufflait cette terrible part de vérité. Alors il s'efforçait de ne plus penser à ce jour. De ne plus vraiment penser à elle non plus.

Le Poisson d'OrDove le storie prendono vita. Scoprilo ora