Instant Crush

59- Frère et soeur

Yeonjun

Je suis conscient que rien ne sera facile pour elle aujourd'hui. Ryujin a passé son samedi blottie dans mes bras, à nicher sa tête dans mon cou et à redemander des câlins. Non pas que cela me dérange, au contraire, je donnerais tout pour ne jamais me décoller d'elle mais sa peine me pèse. Je voudrais tellement l'aider à évacuer les larmes qui refusent de couler.

Ce matin, nous nous rendons au cimetière de Séoul où les cendres de sa mère reposent. Comme chaque année, nous nous y retrouvons tous autour de Monsieur Choi. Il est le premier à se recueillir devant la stèle, nous laissant en retrait. Beomgyu me fusille du regard lorsque j'approche avec sa soeur mais se retient de me lâcher mes quatre vérités. Je sais qu'il faudra que j'assume cette trahison et je pense même que cela pourrait l'aider à encaisser la journée difficile qu'il vit en se défoulant sur moi. Au loin, la jeune Chaeryeong et Han Jisung se rapprochent pour compléter le groupe. Tous deux nous jettent des regards intrigués pour cette arrivée en tandem.

La meilleure amie de Ryujin a toujours été un pilier dans son équilibre mental. D'une bonté sans égale, elle s'assure que la Petite Choi relève tous les défis. Voilà pourquoi nous l'avons rapidement pris sous notre aile. Rien ne peut arriver à cette extension de celle qui fait battre mon coeur.

Je salue de la tête le geek Jisung et invite Ryujin à les rejoindre pour puiser de leur force.

— J'ai toujours autant envie de te défoncer, marmonne Beomgyu qui s'est rapproché de moi.

— J'aime ta soeur. Que tu sois en pétard n'y changera rien.

— Et ça date de quand cette lubie? Je te connais, Yeonjun. Tu vas te la faire puis la larguer. T'as le droit d'agir comme tu veux avec tes putes mais ma sœur, c'est interdit.

— Ne fais pas comme si tu n'avais jamais vu qu'elle me plaisait. Soit honnête et accepte ce que tu savais qui allait se passer.

Je me place devant lui pour qu'il n'esquive pas mon regard. Je n'ai pas l'intention de passer pour le mauvais dans l'histoire. Pourtant, nous sommes contraints d'abréger notre discussion puisque le père Choi nous fait signe d'avancer.
Les enfants viennent alors se placer à ses côtés et commencent à se recueillir. Je vois Ryujin frémir lorsque son père lui prend la main mais elle ne le repousse pas. Tous les trois déposent des fleurs puis caressent le marbre. C'est alors qu'elle craque.

Ma vision se brouille d'un voile de larmes lorsque j'aperçois Ryujin se plier de douleurs et céder au chagrin qu'elle retenait au fond d'elle. J'amorce un pas pour aller la serrer contre moi et l'alléger de sa peine mais Chaeryeong me retient par le poignet. D'un geste de la tête, elle m'indique d'observer la scène. Je suis alors des yeux Beomgyu qui s'agenouille pour la prendre dans ses bras et la laisser reposer sa tête contre son épaule.

Mon meilleur ami a toujours eu du mal à gérer le rôle qui lui est tombé dessus lorsque son père a baissé les bras devant le chagrin et a laissé Ryujin sans répère. Étant d'une nature peu tactile et sans douceur, il n'a jamais réussi à trouver les mots pour lui signifier qu'il était là pour elle, pensant que les actes silencieux parleraient pour lui. Je sais l'effort qu'il lui faut pour sortir de sa coquille et s'ouvrir à sa soeur aux yeux de tous. Mais il l'aime plus que tout, même s'il ne le dit jamais.

Monsieur Choi ne quitte pas des yeux le nom de sa défunte épouse et ne se rend pas compte de la peine que vivent ses enfants. Je l'ai tant de fois détesté pour son inaction et sa faiblesse mais j'ai fini par comprendre qu'il était en quelque sorte mort, lui aussi, au moment où sa femme a rendu son dernier souffle avec la maladie. Certaines personnes sont si désemparées lorsque leur moitié disparaît qu'elles se laissent mourir de chagrin. Je crois que nous sommes le dernier lien qui l'aide à garder la connexion dans notre monde.

Avec un désespoir infini, il dépose un baiser sur le marbre et s'éloigne sans un mot pour ses enfants.

Nous décidons tous de former un cercle afin d'entourer Ryujin et Beomgyu de nos bras. Ma main se glisse dans celle de mon meilleur ami tandis que j'embrasse la tempe de Ryujin pour qu'elle ressente mon soutien.
Plusieurs minutes passent sans que nous ne mettions fin à cette union. Puis d'autres familles pénètrent dans l'espace et nous invitent à prendre un peu d'espace. Je rejoins les garçons pour ce moment qui n'appartient qu'à nous, même si je doute de l'accueil de mon meilleur pote.

— T'as pas intérêt de merder avec elle, promets-le-moi, me dit-il en m'agrippant la chemise.

— Je l'aime et je compte la rendre heureuse. Tu en as ma parole.

Son regard plonge dans le mien pour y déceler le mensonge mais je ne fais que lui livrer ce que j'ai sur le coeur depuis toutes ces années. Après un soupir de résignation, il m'attire contre lui et laisse dévoiler une certaine fragilité.

— Je serai toujours là pour toi aussi mon pote, sois-en sûr.

— J'espère qu'elle va t'en faire voir de toutes les couleurs.

Je partage le rire qui nous anime et accepte les railleries de nos amis. Un regard derrière moi et je lui informe implicitement que je la laisse entre les mains de sa meilleure amie et de l'autre neet.

Nous déjeunerons tous ensemble comme à chaque fois mais il faut s'assurer que Monsieur Choi ne fasse pas cramer la cuisine. C'est bien le seul jour où il s'oblige à préparer les plats préférés de sa défunte épouse. Nous décidons de prendre la route pour être certains de le retrouver à temps.

Mes parents comprennent difficilement mon implication dans la famille Choi qui n'est officiellement pas la mienne. Mais depuis que j'ai posé les yeux sur elle, je sais que nous terminerons ensemble. Je ne fais donc que gagner du temps sur les plans du Destin et donne un coup de main pour que cette famille remonte la pente, même des années après le drame.