Instant Crush

2- F*cking Gentleman

— Sasaeng!

Je balance mon coussin dans la tête de Chaeryeong afin qu'elle cesse ses éclats de rire et ses accusations, certes un peu fondées.

— C'est juste son emploi du temps. 

Enfin, celui de la semaine que j'ai réussi à négocier auprès de Yuna, la petite amie momentanée de mon frère avant qu'il ne passe à autre chose.

— Et je te signale que cette information t'intéresse aussi alors pas de jugement Inspecteur Lee.

Les étudiants en sciences techniques des activités physiques et sportives sont dépendants du bon vouloir de la météo et n'ont donc pas de plannings fixes comme nous. Chose qui n'arrange pas la déséquilibrée que je suis.

— Tu sais que Soobin s'est affiché dernièrement avec Lia, me dit-elle.

— Fallait s'y attendre. Ça faisait trois semaines qu'il lui tournait autour. De toutes les filles qui le draguaient, c'est la seule qui est restée après 3 heures du matin à la fête de Sunghoon.

La façon aussi détachée dont je parle de mon crush peut étonner mais tout a une explication. Mes chances de me mettre en couple avec lui avoisinent les 0,1%. Je préfère donc suivre sa vie comme un feuilleton, quitte à vouloir qu'il finisse avec la plus incroyable des filles. 

— Mais je mise sur le fait que Yeji reviendra dans la partie lorsqu'elle apprendra la nouvelle, je continue.

La vie amoureuse de Choi Soobin est trépidante. Il a plus d'ex que je n'ai de carreaux dans mon cahier 24x32, 96 pages. Mais l'une d'entre elle revient régulièrement sur le devant de la scène. On ne peut pas nier que Hwang Yeji est d'une beauté à vous couper le souffle. J'ai pu échanger quelques mots avec elle à deux reprises. La première fois, cela s'est passé à la sortie des vestiaires de la piscine municipale. Je pestais à enfiler ce bonnet qui finissait toujours par s'échapper de ma tignasse quand de petits doigts sont intervenus dans cette bataille afin que je la remporte. Elle m'a souri alors que je balbutiais des remerciements puis a sursauté en sentant une main se plaquer sur ses fesses. Devant mes yeux ébahis, Soobin s'est penché pour l'embrasser dans le cou puis m'a fait un clin d'œil.

— Salut Petite Choi.

Il s'en est allé avec mon coeur et sa copine. Je sentais encore son parfum alors que je replaçais mes lunettes tandis qu'il prenait sa douche juste avant de passer le pédiluve. Une seconde après, un gorille m'a frôlée et s'est amusé à tirer sur l'élastique de mes lunettes de piscine afin que le retour me fouette le crâne.

— Putain mais t'es con! Dis-je en hurlant devant le rire stupide de Yeonjun.

Sans m'accorder plus d'attention, mon frère qui le suivait s'est contenté d'un ricanement de satisfaction. Il ne faut pas croire que toutes les fratries sont idylliques. Rares sont celles qui se supportent ou s'entraident. Mon duo fait partie de la catégorie "moins je te croise et mieux je me porte". Nous sommes beaucoup trop différents sur de nombreux points pour trouver un terrain d'entente.
Beomgyu peut sauter sur la moindre occasion de passer une soirée entouré de monde, alors que moi, je me sens beaucoup mieux entre les quatre murs de ma chambre, un livre à la main. Les années passées depuis le décès de ma mère n'ont fait que nous éloigner. La seule personne de mon sang capable de me faire voir du monde est ma grand-mère paternelle So-Yun. La plus dynamique et insouciante des octogénaires.

Mais revenons à notre joli mouton, Yeji. La seconde fois où elle est apparue dans mon monde a été pour me signaler l'apparition de mes règles lors de mon cours de self défense du soir à la fac. Heureusement pour ma dignité, aucun des garçons présents dans la salle n'avait fait attention à mon derrière. Entre la jolie fille populaire et la petite secouée du bocal, ils faisaient vite leur choix.
Toujours est-il que rien que pour ses deux actions altruistes, je souhaite qu'elle revienne dans la course au petit cœur de Soobin.

De gros coups sont frappés contre la cloison qui sépare les deux chambres du haut. J'en conclus que sa Majesté Beomgyu n'entend plus suffisamment ses voitures rouler dans son jeu vidéo.

— Qu'est ce qu'on a fait? Demande naïvement Chae.

— Rien. On existe. Ca doit être sa façon de nous demander de baisser le son. 

Par esprit de contradiction, je lance sur mon enceinte une musique du groupe Rammstein. Le son se met à résonner par dessus les hurlements de la chambre d'à côté.
Chae balance le cahier qu'elle tenait et saute sur le lit pour secouer ses cheveux devant mon visage afin de me brouiller la vue puis elle récupère mon portable et envoie "Gentleman" de Psy sur les ondes.

— T'es sérieuse?! Je vais te bannir du clan secret des crush désespérés si tu ne changes pas dans les dix secondes.

Par esprit de contradiction, je ne peux pas lui avouer que mes cuisses se contractent en rythme par fierté.

— Avoue que tu kiffes. "I'm mother father gentleman..."

En la voyant sautiller de partout et hurler les paroles, je lui dévoile un tendre sourire et me promets à moi-même de m'assurer que celle qui est ma moitié de cœur ne perde jamais cette joie de vivre.

Soudain, la porte s'ouvre brutalement et dévoile Yeonjun qui nous offre son meilleur déhanché, tandis que Huening Kai regarde la scène de loin, dépité. Chaeryeong se fige et manque de s'évanouir devant l'homme de sa vie. Il me faut donc intervenir au plus vite avant qu'elle ne se ridiculise et s'en veuille jusqu'à son dernier souffle. Je saute du matelas et lui fais face.

— Hors de ma vue, Mario, et va jouer aux petites voitures.

— Mon déhanché ne te plaît pas, Petite Choi?

— Non, c'est plutôt ta tronche qui pose problème. Maintenant ciao.

Je lui claque la porte au nez et l'entends nous narguer. 

— N'oubliez pas de brosser vos appareils dentaires, les loseuses, dit-il de l'autre côté.

Je me retourne en fusillant du regard celle qui se trouve à genoux et tient son petit cœur.

— Il est trop...

— Con, dis-je en terminant sa phrase mais c'est peine perdue.

Je sais pertinemment qu'on ne peut rien y faire. Quand quelqu'un est piqué, les défauts les plus flagrants deviennent invisibles.
Je ramasse le cahier, éteins la musique et nous entraîne sur le matelas afin qu'on reprenne le devoir qu'on n'a toujours pas commencé à écrire.