XXI

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« L'homme en mal d'amour, de chasseur devient gibier. »

Oscar Louis Forel


La Bièvre. Un horizon fait à souhait pour le plaisir des yeux. Ici les saisons plus fraîches s'épanouissent à l'ombre. Ici durent longtemps les fleurs qui durent peu. Ici l'âme contemple, écoute, adore, aspire et prend pitié du monde.

La rivière au fond, les bois sur les deux versants. Là, des ormeaux, brodés de cent vignes grimpantes. Des prés, où le faucheur brunit son bras nerveux. Là, des saules pensifs qui pleurent sur la rive, et, comme une baigneuse indolente et naïve, laissent tremper dans l'eau le bout de leurs cheveux. Pour couronnement aux collines vertes des alentours, les profondeurs du ciel toutes grandes ouvertes, le ciel, bleu pavillon par Dieu même construit, qui, le jour, emplissant de plis d'azur l'espace, semble un baldaquin suspendu sur le soleil qui passe.

C'est un de ces lieux où notre cœur sent vivre quelque chose des cieux qui flotte et qui l'enivre. Un de ces lieux qu'Isabelle aimait et rêvait dans sa jeunesse, dont la beauté sereine, inépuisable, intime, verse à l'âme un oubli sérieux et sublime de tout ce que la terre et l'homme ont de mauvais.*

- Nous sommes enfin de retour.

- En effet, Amélie. Il est si bon de revenir chez soi après si longtemps.

Le carrosse transportant les quatre voyageurs s'arrête devant la porte principale du château de Vauboyen sitôt remonté le chemin bordé de peupliers. Henri et François descendent les premiers, aidant les deux dames qui ne perdent point de temps pour se diriger vers l'entrée, suivies des laquais transportant leurs malles.

La gouvernante, l'intendante et son mari, les trois fidèles employés de maison de la comtesse, les attendent de pieds fermes pour les accueillir.

- Quelle joie de vous revoir, Madame, sourit la seconde en s'inclinant.

Isabelle s'empresse de la relever.

- Jeanne, je vous en prie, point de révérence. Je suis moi aussi heureuse d'être revenue.

- Mais dîtes-nous, quelle est la raison qui vous a poussé à quitter Paris ? Il nous semblait pourtant d'après vos lettres que la vie de gouvernante des enfants de sa Majesté vous convenait ?

- Ceci, Maurice, est une chose que je tiens point à évoquer. Du moins, pas encore.

La discussion bouclée, tous s'en vont au salon.


Louis jette brusquement sa plume, abandonnant sa piètre tentative d'écrire une lettre, et se lève en repoussant sa chaise. Pourquoi, Seigneur ? Pourquoi est-elle donc partie sans lui donner le moindre avertissement ? Ne lui a-t-elle pas juré auparavant qu'elle l'aimait ? Quelle genre de femme fait donc cela, surtout au roi ?

Néanmoins, quand il y pense... Isabelle l'aime-t-elle toujours ou son affection pour lui s'est-elle éteinte après cette visite rendue à la marquise de Montespan ? Ce n'est point comme s'il ne l'avait pas remarqué lors des jours suivant son retour de Gascogne : sa bonne humeur n'était plus aussi prononcée qu'avant. Non, depuis plus longtemps même. Les choses se sont compliquées après son empoisonnement. Le règlement de comptes avec Athénaïs semble avoir été le coup de grâce.

Quand les enfants lui ont annoncé que leur mère adoptive avait décidé de se rendre chez elle près de la Bièvre, sans le prévenir qui plus est, il ne l'avait guère envisagé. Rien que par ce geste, la comtesse lui montrait une fois de plus qu'elle n'est pas une femme comme les autres. Une femme blessée... Qu'il ne peut nullement contrôler à sa guise et elle le lui faisait comprendre clairement.

L'Amour du SoleilWhere stories live. Discover now