VI

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« Le meilleur moyen de conserver un esprit ouvert sont les conseils sincères d'un ami. »

Francis Bacon


L'atmosphère dans la chambre de la comtesse de Vauboyen est pour le moins tendue. Si du moins l'on n'ose point la qualifier de morbide. Quoique ce serait probablement le mot le plus juste pour décrire la situation présente.

Amélie, elle-même ayant les traits tirés par la fatigue, ne cesse de veiller sur son amie de longue date, laquelle se trouve en ce moment plongée dans un sommeil profond. D'extérieur, son visage paraît tranquille. Pourtant plus diaphane que d'ordinaire par l'empoisonnement dont elle est victime, on se demande bien si ce dit sommeil est paisible ou non, la cantarelle étant un venin réputé pour tuer lentement dans une agonie terrible. Et bien qu'Isabelle ne s'est pas plainte un trop grand nombre de fois de la douleur qu'elle peut ressentir par intervalles, son amie n'a guère de doute sur son intensité.

Sur les genoux de Mademoiselle de Beaulieu, Louise Françoise se balance légèrement de droite à gauche dans une attitude morne et sans réelle envie autre que de voir à nouveau la santé de sa mère adoptive s'améliorer. Elle jette de temps en temps des regards à la dérobée en direction du lit où ses frères et sœur ont élu domicile : Louis-César et Louise Marie Anne sont chacun allongés d'un côté de leur gardienne bien-aimée. Louis-Auguste est quant à lui assis sur le bord, contre le dossier de la couche, passant sensiblement une main dans les cheveux de la malade pour les caresser. Comme pour la soulager.

Amélie se retient de tiquer de colère et de frustration.

Maudite soit Athénaïs de Montespan ! Sans aucune considération pour ses enfants, sans aucune considération pour la vie de personnes innocentes, l'atrocité comme son ombre la suit partout où elle va, frappant quiconque elle rencontre sur son chemin. L'atrocité est reconnue comme telle par la victime tout autant que par celui qui la perpètre, par tous ceux qui en ont connaissance à quelques degré que ce soit. L'atrocité n'a pas d'excuse, pas de circonstance atténuante. Jamais elle n'équilibre ni ne corrige le passé. Elle ne fait qu'armer l'avenir pour d'autres atrocités. Elle se perpétue d'elle-même selon une forme barbare d'inceste. Quiconque commet une atrocité commet toutes les atrocités futures ainsi engendrées.*

Tout cela pour un stupide jeu de pouvoir et d'amour !

- Mademoiselle ?

L'interpellée sursaute en se retournant pour voir Clarence sur le pas de la porte des appartements de la comtesse.

- Oui ?

- Sa Majesté la reine et son Altesse Royale la duchesse d'Orléans sont ici.

Plaît-il ? Les deux femmes les plus importantes du royaume de France sont ici, à Vaugirard ? Que peuvent-elles bien espérer en y venant ? Certes, cela peut se comprendre pour Marie-Thérèse d'Autriche, elle est après tout amie avec Madame de Langlois. Mais Élisabeth-Charlotte de Bavière ? L'épouse de Monsieur ne leur a jamais été présentée, quand bien même Henri et François la connaissent certainement, sans toutefois la fréquenter.

- Clarence, veuillez ramenez les enfants dans leurs chambres, s'il vous plaît. Je vais les recevoir tout de suite.

Ce disant, la servante s'en va prendre le comte de Vexin dans ses bras avant de quitter la chambre avec le duc du Maine et Mesdemoiselles de Nantes et de Tours sur les talons.

Amélie s'apprête à sortir à son tour quand ces dames font leur entrée. La princesse Palatine, dans la fraîcheur de ses vingt-quatre ans, n'est pas désagréable à regarder, mais on ne peut point non plus la décrire comme une grande beauté. Blonde, massive, les joues colorées, les yeux bleus, le teint clair, Madame n'a pas la grâce, la séduction et le charme de la cour. Elle est malgré tout très appréciée du roi par sa franchise, sa droiture, sa spontanéité, surtout son absence d'hypocrisie.

L'Amour du SoleilWhere stories live. Discover now