L'Amour du Soleil

XVI

« Le chemin de vie est ce fil conducteur que nous suivons de façon consciente ou inconsciente tout le long de notre existence. »

Lao Tseu

Le couvent des Carmélites du faubourg Saint-Jacques, autrement nommé carmel de l'Incarnation, est le premier couvent de Carmélites déchaussées à Paris. Fondé en 1603 rue Saint-Jacques, il est devenu par la suite la maison-mère de cet ordre en France et compte aujourd'hui dans ses ordres nombre de religieuses appartenant à la grande noblesse.

La comtesse de Vauboyen n'est nullement étonnée par le choix de la duchesse de la Vallière et de Vaujours d'avoir choisi ce lieu de retrait, plus particulièrement après les bribes d'histoire que lui a raconté la reine il y a maintenant deux jours. De la fenêtre du carrosse rouge et or dans lequel elle se trouve accompagnée de Marie-Thérèse et de la princesse Palatine, elle observe l'édifice en pierre d'un œil curieux. De l'architecture jusqu'à la moindre pierre d'un gris foncé, tout dans l'extérieur lui semble être le reflet de la vie religieuse stricte que les chanoinesses y mènent.

- Voilà une vue bien austère. Mais après tout, j'ai aussi vécu dans la sévérité pendant un temps moi aussi.

- Servir Dieu demande autant de sacrifices que d'aimer quelqu'un de plus grand que soit, si ce n'est plus, dit la souveraine. Il semble néanmoins que cela convienne à sœur Louise.

Madame de Langlois se retient de faire la grimace.

- Dois-je être considérée comme pécheresse pour éprouver un sentiment que j'ignorais auparavant et pour des évènements dont je ne suis point responsable ?

- Ne vous méprenez point, Isabelle, vous n'avez rien à vous reprocher. Pas quand vous n'avez nullement choisi la tournure de votre vie.

La comtesse ne donne pour toute réponse à la duchesse d'Orléans qu'un regard froid et équivoque. À quoi pense-t-elle ? Elle-même ne le sait pas, c'est ardu à mettre en mots. Elle revoit toutes ces années qui sont entrées en elle comme la pluie s'infiltre dans la terre. À bien y réfléchir, elle en vient à la conclusion qu'elle n'a en fait jamais vraiment décidé quoi que ce soit dans sa vie, que les choses se sont faites en dehors de sa volonté.

Pour vraiment comprendre cela, il faudrait raconter sa vie. Sa naissance, sa vie en Provence, son mariage, sa grossesse, la mort de son époux, la naissance et la mort de son fils... Toutefois, sa vie n'a pas grand intérêt avant sa rencontre avec le roi de France, parait-il, puisque tout le monde vit à travers lui. Elle ne fait pas exception à la règle, étant à la fois son amante et la mère adoptive de ses enfants légitimés.

Ceci dit, pourquoi ce chemin de vie plutôt qu'un autre ? Où mène-t-il pour la solliciter si fort ? Quels arbres et quels amis sont vivants derrière l'horizon de ses pierres, dans le lointain miracle de la chaleur ? Isabelle est venue jusqu'ici car là où elle se trouvait, dans le trou noir du deuil et de la dépression, plus rien n'était possible. On la tourmentait et on allait l'asservir. Le monde, de ces jours, est hostile aux vertueux. Il a fallu partir... Et ce chemin, qui ressemblait a un long squelette, a conduit Madame de Langlois à un pays qui n'avait que son souffle pour escalader l'avenir. Comment montrer, sans les trahir, les choses simples dessinées entre le crépuscule et le ciel ? Par la vertu de la vie obstinée, dans la boucle du Temps artiste, entre la mort et la beauté.

- En effet, s'adoucit la comtesse. Je n'ai pas choisi ce chemin précisément. Chaque élément ne va point sans son contraire, et quand bien même il y a assurément des choses pour lesquelles je suis coupable aux yeux du Seigneur, d'autres merveilleuses me sont apparues et je ne les regrette nullement.