11. La fuite (1)

32 9 40
                                    

Je repensais à ce que nous venions de laisser derrière nous. Une maison complètement fermée, avec un corps inanimé à l'intérieur, d'une personne que je pensais avoir en bonne estime. Bell ne m'avait pas lâché la main. Il m'entraînait à travers la foule sans s'arrêter une seule seconde. Ses pas étaient pressés et la chaleur du soleil ainsi que les coups d'épaules données aux passants trop lents m'avaient épuisée. Alors que la population se faisait moins dense dans les rues colorées, je m'arrêtais à l'ombre d'une maison, essoufflée. Bell se retourna tout en lâchant mon poignet.

- J'arrive pas à y croire.

Ma respiration tremblait.

- Tu crois qu'elle était vraiment là pour moi ?

Bell me regarda tristement.

- C'est certain.

Je baissais la tête. J'avais l'impression de ne plus pouvoir faire confiance à quiconque. Même Lara m'avait trahie. Et pourtant, son dialogue avec l'hôte de Bellamy m'avait semblé vraiment important. Pour eux.

- Et si... Et si tu l'avais tuée ! m'exclamais-je au bord des larmes.

Je me recroquevillai dans la rue paisible, où tous les volets étaient fermés mais semblaient nous accuser silencieusement. La tête dans les genoux, j'essayais de me persuader que ce que je vivais n'était qu'un rêve.

- C'était la seule solution pour te sortir de là, justifia-t-il en me caressant le dos.

- Et ton hôte t'a laissé faire ? minaudais-je.

- Il a été dur à convaincre, mais il a dû penser que c'était la seule chose à faire pour sauver Ambre.

Je réalisais. Bell aussi avait assisté à leur discussion, emprisonné dans sa propre tête.

- Que penses tu qu'il se soit passé entre eux sur le Nuage ?

Je me concentrai. Lara n'était pas là. Je ne sentais aucune présence. Elle devait se faire toute petite pour interagir le moins possible avec moi. Si seulement il y avait un moyen de se débarrasser d'un hôte. De l'arracher de sa tête, de revivre une vie normale, sans avoir peur et sans avoir l'envie incessante de fusionner à nouveau.

Bell haussa les épaules, faisant couler des gouttes de sueur le long de son cou.

- Ils étaient sûrement très proches.

- Je ne savais pas que les hôtes vivaient entre eux sur le Nuage.

- Ni qu'ils avaient de tels sentiments, acheva mon ami.

Je repensais à ma discussion avec Lara. Les hôtes étaient de parfaits humains. La même composition, les mêmes émotions. Et pourtant, ils ne pouvaient pas vivre comme nous. C'était certainement la raison pour laquelle Lara voulait me voler mon corps, et inverser les rôles. Mais apparemment, on ne pouvait pas y survivre très longtemps. Un déferlement de frustration me traversa le corps :

- Pourquoi il a fallu que je fusionne comme ça ? explosai-je.

Inquiète, je portais une main à mon nez. Bell le remarqua :

- Ne t'en fais pas, tu ne saignes plus.

- Imagine si mon corps était mort, avec moi toujours vivante à l'intérieur, marmonnais-je plutôt à l'attention de moi même, et de Lara, indirectement.

Je frissonnai en emprisonnant mes jambes à l'aide de mes bras. Bell ne répondit pas, l'air grave.

- Nous sommes dans une impasse, finit-il par lancer.

Je levai le nez vers lui, mes yeux rouges débordant d'émotion.

- Lorsqu'elle se réveillera, elle trouvera un moyen de sortir de la maison et d'aller alerter la police.

La réalité me rattrapa comme une gifle.

- Et en plus elle me connait. Mon nom, mon prénom, la cafétéria de ma mère...

Bell serra les poings :

- Putain, comment va-t-on faire ?

Je me levai d'un bond, pour aller me blottir entre ses bras :

- Bellamy je suis désolée, c'est moi qui t'ai entraîné là-dedans et maintenant tu es en cavale avec moi.

Les larmes jaillirent sur son épaule dans laquelle j'avais enfoui mon visage, et il me serra plus fort contre lui.

- Si tu te mets à dire mon prénom en entier, l'heure est vraiment grave Tina.

Je m'écartais, mains collées contre son torse. Je n'étais pas vraiment d'humeur à plaisanter. Il prit mes mains dans les siennes et m'observa avec un regard si pétillant qu'il sembla s'embraser.

- J'ai toujours rêvé de quitter cette satané ville au gouvernement foireux et aux plages miteuses. Il fallait bien qu'un jour ou l'autre j'aille découvrir le monde !

- Qu'est ce que tu veux dire ? balbutiai-je face à tant d'enthousiasme.

- C'est évident non ? On a juste à partir d'ici.

Il semblait si sûr de lui, j'en étais déconcertée.

- Mais personne n'est jamais parti d'Algore ! chuchotai-je en jetant des regards inquiets autour de moi, de peur qu'on nous entende.

- On a qu'à partir quelques mois seulement, un an peut être. Le temps de nous faire oublier et revenir ici.

- Mais je...

Je m'arrêtais. L'idée était effrayante et alléchante en même temps. Rejoindre le continent me terrorisait. Je craignais d'être rejetée, marginalisée ou jugée par des centaines de sans-âme qui n'avaient pas notre système. Mais d'un autre côté, rester ici n'annonçait rien de bon pour nous également.

- Et nos parents ? Et toi à la fac ?

- On leur annoncera lorsqu'on sera sur le continent. Les miens vont me tuer, mais ça en vaudra la peine. Et ne t'en fais pas pour mes études. Je ferai une année de plus.

Un silence interminable s'installa. Mes pensées fusaient tellement vite que je ne savais pas si je réfléchissais vraiment.

- Si tu es décidée, il faut le dire maintenant.

L'ultimatum était difficile. Je cherchai de l'aide ou des indices dans son regard bleu, et la seule chose que j'y décelai, était de la détermination. Je soupirai. Même si je partais, j'étais avec Bell.

- Je vais faire mes valises.

L'ANTI-HÔTE [Partie 1] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant