3. Un cœur fissuré (2)

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10 heures avant l'alerte.

Le lendemain, je ne me rendis pas à la cafétéria pour l'ouverture. Je n'en avais pas la force. Bell était en vacances et révisait déjà pour l'année prochaine, et je me décidai à l'appeler. Mon téléphone rose collé à l'oreille, je m'assis sur mon lit pour mettre mes chaussures blanches. Ma jupe d'hier m'avait paru tellement serrée et moulante, que j'avais opté radicalement pour un large pantalon gris et un tee-shirt beige. Ma mère m'aurait fait remarquer que les couleurs étaient très harmonieuse, et que cela me donnait un côté encore plus doux que d'habitude.

- Allô ?

- Tina ? Je suis passée devant la cafétéria, elle était fermée. Tout va bien ?

Je soupirai. Je n'avais pas besoin d'un père de substitution. En avoir un seul me suffisait largement ; même s'il n'était jamais là, et qu'il avait commencé à d'avantage fuir ses responsabilités depuis l'accident de Benjamin.

- Je vais très bien. Je ne veux pas aller travailler aujourd'hui.

Il marqua une pause. Je serrai mes lacets et ne fis plus aucun geste ensuite. Attendant sa réponse.

- Tout s'est bien passé hier ?

Je repensais à mon visage plein de larme, le secrétaire de l'accueil me voyant débouler avec mon mascara sur les joues, mon nœud au ventre sur la route du retour, et les régurgitations de mon estomac qui avaient bouché les toilettes toute la nuit. Etant pâle d'ordinaire, gène tenu de mon père, je ne paraissais pas plus malade ou fatiguée que d'habitude. Donc, tout allait bien.

- Comme d'habitude... Pas vraiment.

- Tu veux qu'on se voie aujourd'hui ? commença-t-il avec une petite voix.

- Je ne peux pas. Je...je retourne au soutien.

Il se résigna. Quand je me décidai à aller là-bas, Bell savait qu'il fallait me laisser tranquille.

- Je comprends. A plus tard Tina, porte toi bien.

Aucun de nous ne semblait vouloir raccrocher. Le téléphone toujours collé à l'oreille, j'écoutais tout ce qui se tramait du côté de Bell. Le silence régnait aussi pour lui, et cette sérénité nous rapprochait, même à plusieurs kilomètres de distance. J'aimais l'imaginer avec moi, consolants mes peine et chassant mes doutes. Je voulais encore entendre sa voix douce qui me berçait. Les yeux fermés, je continuai à attendre. Le "bip" sonore résonna dans mon cerveau et me provoqua une sensation désagréable. Il avait raccroché, et moi je devais partir, j'étais déjà très en retard.

Une fois dans la rue, je n'entendais que des gens parler entre eux sur les trottoirs ou les terrasses des cafés. "Alors ou est ce que tu pars cet été ?". "Je n'ai encore jamais visité la côte Ouest d'Algore"...

Je rajustais mon sac à main sur mon épaules, marchant tête baissée, avec les genoux collés et les pieds en canard. Je n'étais pas dans mon assiette et toute cette foule qui se pressait autour de moi, tournait sans cesse, parlait, riait, me donnait des vertiges. Le soleil m'écrasait d'avantage de ses rayons brûlants sur les routes goudronnées et scintillantes. Les commerces ouvraient gaiement, les volets laissaient entrer la chaleur matinale.

L'avenue 14E aurait pu être chaleureuse, si elle ne me mettait pas autant mal à l'aise. Le monde qui grouillait m'angoissait, surtout depuis l'accident de Benjamin. On ne savait jamais qui avait un hôte, qui n'en avait pas encore, qui était contre le système et n'en aurait jamais... Mais ma plus grande peur restait que les autres découvrent que je faisais partie de ceux qui n'en avaient pas. J'avais l'impression que mon statut de "sans-âme" était gravé au fer rouge sur mon front blanc, raison pour laquelle je me dissimulais derrière une frange châtain si épaisse.

L'ANTI-HÔTE [Partie 1] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant