L'ANTI-HÔTE [Partie 1]

7. Âme partagée (1)

Je flottais, je ne tombais pas. Et pourtant, le sol était inexistant sous mon corps immobile. J'étais allongée, mais je ne savais plus où étaient le haut ou le bas. Tout était sombre, les murs comme le sol étaient d'un noir d'encre qui ne me permettait pas de voir au delà du bout de mon nez.

Une pièce froide et complètement vide s'étendait à l'infini autour de moi. Je me levai, et avançai d'un pas. Mes pieds marchaient sur le vide sans contact avec une surface solide, et le vide continuait à s'étendre sous mes pieds.

Je ne savais pas où je me trouvais. Ma respiration résonnait comme dans une immense boîte de conserve dont je ne voyais pas le bout. Je continuai de marcher, ne sachant pas vraiment ce que je trouverai sur ma route. Ou ce que je voulais découvrir.

Mon esprit fonctionnait au ralenti. Je ne savais même pas si je ressentais de la peur ou juste de l'étonnement face à cet environnement inconnu. Le dernier souvenir qui me restait, était celui de l'apparition d'une fine silhouette s'écroulant à mes pieds, comme prise d'une soudaine faiblesse.

Qui cela pouvait-il être ?

Une forme se dessina alors au loin. Une silhouette recroquevillée sur le sol, haletante. Elle respirait. Un humain !

Je me précipitai en avant. Son corps ressortait d'avantage dans l'obscurité. Lorsque je fus près de lui, il m'était visible comme en plein jour.

C'était une femme, le visage dirigé vers le bas, apparemment secouée par de violentes émotions. Ses bras, appuyés sur ce qui s'apparentait être un sol, tremblaient. Timidement, je posai une main sur son épaule dénudée.

Elle était à peine vêtue. Les vêtements déchirés au niveau des manches et du pantalon, elle avait une allure d'aventurière venant de traverser une jungle hostile. Ses cheveux bruns tirant vers le noir étaient noués en queue de cheval à moitié défaite et de nombreuses coupures parcouraient son corps.

Elle avait un air de Lara Croft qui venait de se perdre au même endroit que moi.

- Tout va bien ? balbutiais-je à son intention.

Elle chassa la main réconfortante que j'avais laissé sur son épaule meurtrie.

- Oui, coupa-t-elle d'un ton sec.

Surprise, je m'écartais, le dos toujours courbé pour m'adapter à sa hauteur. Justement, elle se redressa et me toisa durement de la tête aux pieds.

Ses yeux jaunes brillaient dans la nuit. Cette caractéristique m'était bien familière. Il n'y avait qu'un seul être pour avoir des yeux aux couleurs si intenses.

- Ainsi c'est toi mon pilier ? Qu'est ce que j'ai fait pour mériter une gamine pareille ?

Je prêtais à peine attention à ses paroles, obnubilée par son regard ambré qui semblait sonder mon âme.

- Tu... Tu es un hôte.

- Oui, le tien. Je suis 76 206.

Ma poitrine se gonfla d'une fierté que je n'aurais jamais pensé ressentir. Enfin. J'avais enfin fusionné. Je doutais un moment qu'il puisse s'agir d'un rêve, alors je fis mon possible pour ne pas m'éveiller.

Hésitante, et remplie d'émotion, je me triturais nerveusement les mains, ne sachant quoi en faire.

- Enchantée ! Je m'appelle Athéna mais tu peux m'appeler...

- Je sais, répliqua-t-elle une nouvelle fois. J'ai analysé ton âme, tes émotions, et tes souvenirs. Et franchement, je ne suis pas gâtée.

Cette fois-ci, elle me laissa perplexe :

- Qu'est ce que tu veux dire par là ?

Elle se détourna de moi sans répondre, essayant d'ajuster ses vêtements complètement arrachés par je ne sais quel aléa.

- Qu'est ce qui t'est arrivé ?

- Une fusion un peu difficile. J'ai eu quelques lésions entre le Nuage et la terre ferme.

Je m'approchais d'elle, détaillant les entailles sur sa peau à vif.

- Tu n'es pas réelle et pourtant, tu as des blessures comme celles d'un humain.

Elle tressaillit :

- Je ne suis peut être pas humaine, mais j'ai les mêmes caractéristiques que vous. J'ai une apparence humaine, une anatomie humaine, et des sentiments humains.

Je n'en croyais pas mes oreilles. Les hôtes, des entités technologiques créées par des ordinateurs avaient des sentiments ! On ne me l'avait jamais appris. Au contraire, on me racontait souvent que les hôtes étaient des machines formées pour nous protéger, un point c'est tout.

- Incroyable, soufflais-je. Quelles émotions peux tu ressentir ?

- Presque toutes.

J'étais tellement émerveillée que j'en faisais abstraction de l'attitude plus que glaciale qu'elle avait envers moi. Sa peau légèrement bronzée s'accordait avec ses yeux à la couleur de l'aube qui scintillaient comme un halo protecteur autour d'elle.

- Et tu as bien un nom ? Si tu es comme les humains ?

Elle sembla hésiter, puis me fusilla du regard.

- Non, je m'appelle 76 206.

Je secouai la tête. Cela ne me plaisait pas du tout.

- Je peux te donner un autre nom ? Tu aurais l'air plus humaine et ce sera plus simple à retenir.

Je lui fis un sourire chaleureux et elle haussa un sourcil.

- Tu peux m'appeler...commença-t-elle.

Son esprit se perdit dans le vide, elle divagua quelques secondes puis se reprit :

- Non en fait choisis, lâcha-t-elle d'un ton plus que méprisant.

Je jubilais, et pourtant, je me sentais coupable. Pour moi, elle n'était qu'une poupée à qui je donnais des noms et tricotait des vêtements. Et pourtant, elle venait de me prouver qu'elle se considérait comme une humaine à part entière, et ça, je ne devais pas l'oublier.

- Que penses-tu de Lara ?

L'aventurière au corps abîmé par l'effort revenait sans cesse dans mon esprit, et il fallait l'avouer, ce nom lui allait bien.

Elle haussa les épaules. Je me sentis déçue. J'avais tellement envie d'en apprendre d'avantage ! Une partie de moi considérait sûrement que je venais de me faire une amie. Je ne devais pas me leurrer aussi facilement.

- Dis, si ta descente du Nuage a mal fonctionné, c'est qu'il doit s'agir de la raison pour laquelle nous avons fusionné en dehors du C.R.O.?

Elle se tendit. Mon subconscient n'avait pas oublié cette étape. L'éclair, le lampadaire, l'accident. Tous mes souvenirs revenaient en flash irrégulier devant mes yeux. Comme si je me trouvais...dans ma propre tête.

- Écoute moi bien ma petite, commença-t-elle en se tournant vers moi.

Elle dût se baisser car elle était bien plus grande et svelte que moi. Elle se faisait menaçante, et pointa l'un de ses doigts sur ma poitrine.

- J'ai pas choisi de fusionner avec une gamine aussi coincée que toi. On n'a jamais notre mot à dire là haut sur le Nuage. Oui, la fusion s'est mal passée, mais tu n'as pas intérêt à aller le raconter à la police, sinon on est fichues. Toutes les deux. Et arrête de poser des questions. Vous les humains, vous ne comprenez rien.

Je fronçais les sourcils. C'était sûrement elle que j'avais vu s'évanouir dans mon esprit avant de tomber à mon tour dans les bras de Bell. Son passage sur Terre avait vraiment dû être douloureux. Et pourtant, je ne trouvai aucune compassion à lui accorder. Elle était sèche, bien trop franche et blessante pour être un hôte. Comment avait-elle réussi à quitter le Nuage ? Sa formation ne devait pas être terminée. On n'apprenait pas aux hôtes à être aussi désagréables.

Nos visages se touchaient presque. Je ne répondis rien, incapable de soutenir son arrogance. Elle s'éloigna la première et ne m'accorda plus un regard.

- Laisse moi maintenant.

Et sa voix se perdit dans les ténèbres.