6. À l'ombre d'une ruelle (2)

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Elle n'osait pas se retourner pour lui faire face. Elle entendit un pas claquer sur le bitume et résonner sinistrement dans la nuit. Puis un deuxième. Au bout du troisième, elle prit peur.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

Elle avait fait volte-face, son regard d'ébène lançant des éclairs. Mais ce n'était qu'une façade, et ils le savaient tous les deux. Son corps entier aurait pu être pris de violents spasmes de frayeur si elle n'avait pas appris à canaliser ses émotions.

Il écarta les bras, en signe d'évidence.

- Je me promène, c'est interdit ? Madame la flic ? prononça-t-il avec tant de mépris qu'elle se retint de lui envoyer son poing dans la figure.

Le lampadaire le plus proche d'eux était au bout de l'étroite rue qu'ils fréquentaient. Le corps de son interlocuteur était tapis dans l'ombre, mais elle le connaissait trop bien pour ne pas reconnaître sa silhouette impressionnante et son dos courbé. Les contours de sa veste abîmée ressortaient sous la lumière jaune qui éclairait aussi ses cheveux bruns en bataille.

- Que veux tu que je fasse d'autre ?

Torielle serra les poings et ses ongles la firent saigner des paumes.

- Serais-tu en train de te plaindre ?

Elle n'hésita pas à entrer dans son jeu, agacée. Son petit manège fonctionna instantanément :

- Ah ! s'exclama-t-il comme un rire forcé. J'ai de quoi me plaindre, moi !

Le ton montait dans la rue silencieuse. Les maisons qui se dressaient de part à d'autre des deux ennemis avaient les volets fermés et les lumières éteintes. Mais il s'en fallait de peu pour réveiller tout le voisinage.

- Tu crois vraiment que je vais m'attendrir sur ton pauvre sort ? Tu devrais moisir en prison depuis dix ans, fulmina-t-elle entre ses dents.

Il s'approcha d'avantage, une main dans sa poche, l'autre pointée sur la poitrine de la jeune femme. Cet air menaçant la fit instinctivement reculer. Elle se maudit et serra la mâchoire. Elle ne voulait pas se monter faible face à lui. Pas une nouvelle fois.

- Si je n'ai pas fini en prison, c'est certainement parce qu'il y a une bonne raison !

Il appuya ses paroles avec son doigt pointé sur Torielle, mais il ne l'a toucha pas. Et heureusement pour lui. Elle n'avait pas oublié l'existence de son pistolet.

- A cause de l'incompétence des forces de l'ordre de cette ville !

Elle déglutit. Elle n'avait pas crié si fort depuis longtemps. Les oiseaux s'envolèrent des toits et des arbres et elle continua à se planter les ongles dans la peau jusqu'au sang. Il ne fallait pas qu'elle s'emporte. Elle ne pouvait pas ruiner dix ans de travail acharné. Si Torielle craquait, tout son entraînement n'aurait servi à rien. Elle s'était préparée à cette situation, elle pouvait lui faire face. Et pourtant, comme à chaque fois qu'elle pensait à lui, elle avait envie de laisser exploser une haine qui la faisait frémir elle même.

- C'est pour ça que tu les as rejoins, ricana-t-il en croisant les bras. Et c'est bien passé pour ton léger problème d'alcoolémie ? J'espère qu'ils ont pu passer à côté et t'accepter facilement.

Cette fois ci, le geste partit tout seul. Elle leva son poing et l'arrêta au bon moment. L'homme en face d'elle regardait sa main stoppée net à hauteur de son nez.

- Contrôle toi Torielle, lui souffla une petite voix dans sa tête.

C'était son hôte, qui en plus d'avoir les yeux rivés sur la scène, avait accès aux émotions que ressentait la jeune femme.

L'ANTI-HÔTE [Partie 1] Where stories live. Discover now