TOME 1 - Chapitre 36

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Observation n°5 : Il faut savoir ce que l'on veut, l'exprimer avec courage et y mettre toute notre énergie pour le réaliser !

Le salon du manoir s'étend devant moi, immense et silencieux. Là aussi, je remarque les changements apportés à la décoration. Le mobilier de bois sombre a été remplacé par des meubles clairs, moins massifs. Le bataillon de canapés en cuir a disparu, supplanté par quatre fauteuils et des méridiennes gris pâle devant les fenêtres en enfilade. À l'instar du hall, les tableaux d'Yvan se sont également évaporés, laissant les murs nus, comme autant de pages blanches qu'il nous incombe de remplir.

Nous allons écrire un nouveau chapitre de notre histoire...

La cheminée, débarrassée des bibelots qui l'encombraient, apparaît plus somptueuse que jamais. Sur son manteau est sculpté le blason de notre famille : un lion debout, surmonté d'un château et entouré de végétaux. Dans l'âtre du foyer, un feu ardent flamboie sur son lit de braises. L'énorme sapin, surchargé de boules dorées, s'est fait détrôner par une magnifique sculpture à taille humaine en bois de rose, représentant un rocher, rehaussé de fleurs et d'un couple de faisans niché au sommet.

L'ancien lustre, preuve de l'extravagance de mon aïeul, a cédé sa place à un plafonnier, en forme de branche d'arbre argenté, composé de plusieurs points lumineux. Ses ramures s'étirent, s'entrelacent au-dessus de la pièce telle une canopée lactescente.

Tout a changé... enfin, à un détail près. L'hostilité de ma famille reste une constante absolue.

Je sens le poids de leurs regards, surpris et curieux. Une tension pesante flotte dans l'air. L'assemblée me considère avec stupeur et admiration. Tous contemplent ma riche toilette. Certains se mettent à chuchoter à l'oreille de leur voisin, sans me quitter des yeux. Je devine aisément le sujet de ces messes basses : l'entaille boursouflée qui me barre la joue gauche.

Des gloussements nerveux serpentent entre les invités. Des sourires acerbes commencent à se dessiner sur les visages. Un trouble familier, désagréable, monte en moi comme une lame de fond, me happe et me submerge. J'ai le sentiment d'être une pauvre souris face à une meute de chats affamés.

Instinctivement, j'enserre davantage le bras de Philippe comme une naufragée à sa bouée de sauvetage. Mes jambes tremblent, mon estomac se tord dans tous les sens.

— Tout ira bien, me chuchote-t-il en me tapotant affectueusement la main. Nous sommes avec vous. N'est-ce pas mes frères ?

Ces derniers se tournent vers lui. Une conversation muette semble s'engager entre eux, ponctuée par des hochements de tête approbateurs.

Oui, je ne suis pas seule...

Se sentant subitement investis d'une mission, mes grands-oncles se détachent de moi, bombent le torse avec fierté et fendent l'assistance bruyante. Ils se positionnent alors de part et d'autre de l'allée centrale, puis d'une voix forte, Henri s'adresse à tous :

— Mesdames et messieurs. Veuillez vous joindre à nous pour accueillir notre nouvelle matriarche, Suzanne Overney-Lecomte !

Faisant fi des commentaires désobligeants, le Quatuorvirat s'incline comme un seul homme, formant ainsi une haie d'honneur. Le brouhaha s'intensifie, chacun vomissant sa rancœur. Je déglutis mal à l'aise. Déstabilisée par cette déferlante de haine, je reste comme pétrifiée. Je ferme les paupières pour résister à la tentation de m'enfuir et dompter la poltronne qui somnole en moi.

— Ne les laissez pas vous impressionner, souffle Jérémie à mon oreille, en exerçant une pression discrète, mais encourageante, dans mon dos.

Sang Remords (T.1 - ☑ /T.2 - en cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant