Chapitre 05 - Dorian ♛ : Les enfers de CBC.

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Ses pleurs me tiraillent, à travers la vitre de la pièce et celle de la cabine. Elle est là depuis plusieurs heures, incapable de se relever. Il est temps pour moi de m’en aller, pourtant, après être resté autour de cette maison rouge. Edgar ne. m’a probablement pas attendu pour fermer le bar. Mes pieds regagnent Terre. Le ciel se dégrade du bleu marine au rouge et le soleil se lève peu à peu. À la vitesse de la lumière, j’arrive devant l’écriteau de la brasserie : Cold Blood Club. Ce nom me fait toujours sourire avec stupidité. La pancarte est tournée : « nous sommes fermé. » J’entre pourtant sans hésitation et referme derrière moi, il n’y a plus personne, contrairement à la nuit précédente. William et Tony dans la même soirée ? C’est un carnage. Edgar se trouve toujours posté devant la porte menant au sous-sol, bien que nous ne soyons à présent que tous les deux. D’un regard, nous savons que nous allons descendre, fermer à clé la porte d’entrée, mais aussi l’accès aux enfers de CBC. D’un pas lent, j’arrive devant lui au moment où il décide de tout éteindre, tout verrouiller. Je descends le premier et tourne plusieurs fois dans les escaliers métalliques en colimaçon pour profiter de la vie cachée qu’offre les vampires. L’endroit sombre est teinté de différentes couleurs. La pièce principale est plongée dans une ambiance couleur Lila. C’est ici que se trouve le bar où je me pose tous les jours pour surveiller les clients du sous-terrain. Plusieurs pièces sont imbriquées les unes à côté des autres, reliées par de courtes allées sombres. L’endroit est présenté tout en long, comme à l’étage. Ce qui diffère du haut, ce sont les plafonds voûtés, construits en briques de pierre, l’estrade construite au fond et des luminaires rotatifs au plafond qui balancent cette lumière artificielle si particulière. Des piliers formant les arcs du plafond sont disposés aux quatre coins du bar, ce qui lui donne un air rustique et beaucoup plus travaillé que la partie du dessus. 

À ma droite cette fois se trouve le bar, les tabourets hauts sont rouges et carrés, contrairement aux autres en cuir marron et d’une forme ronde. Une banquette écarlate est collée au mur rocailleux d’en face. Quelques gars se trouvent ici, comparé aux nanas qui semblent moins nombreuses, présentes pour l’instant dans d’autres pièces. Je me pose à peine contre le comptoir qu’Edgar débarque à son tour, silencieux. C’est comme cela tous les jours, la vie grouille dans le sous-sol de l’enseigne et le soir, des tas d’humains viennent s’entasser à l’étage pour picoler. Des humains comme William. Ici, aucun d’eux n’est capable de fini dépravé au point de faire un coma éthylique. Les conversations s’exaltent, ils rient tous sur la banquette, mais aussi face à l’estrade, posés sur trois chaises en attendant le show. À gauche du bar, la scène est posée face au couloir menant dans une autre pièce plongée dans une ambiance océane. Dans le petit passage, les deux couleurs se mélangent et transitionne dans un bleu marine absorbant. Trois filles arrivent, trois vampires habillées bien trop peu pour moi. Je ne prends même pas la peine de les surveiller et observe Edgar analyser l’environnement avant de venir s’installer à ma place. Voyant que je ne prête aucune attention à la vie qui s’active à ma gauche, il lance la conversation : 

— Tu t’éprends de Tara comme Zeus s’est épris de Lamia.  

Un rictus m’échappe, conscient qu’il ne dit que la vérité. Je n’ai jamais été obsédé par quelqu’un de cette manière, jusqu’à elle. Edgar connaît mon intérêt profond pour le côté mythique des dieux grecs parce que ces histoires ont forgé mon enfance. J’en étais passionné jusqu’à la moelle, et c’est toujours le cas aujourd’hui, ma condition n’avait rien changé à ça. Si moi, je suis Zeus, Edgar est donc Hadès, le dieu des enfers. Je crois qu’il en est conscient, mais cela ne le dérange point d’être qualifié ainsi. 

— Elle attise ma curiosité, à traîner ici la nuit, ou encore à rester éveillée du matin au soir et du soir au matin. J’ai envie de l’aider, de la sortir de son désespoir, je ne sais pas pourquoi. 

Il sourit simplement. Sans un mot, je préfère me pencher derrière le comptoir afin d’attraper deux verres et deux poches de sang cachées dans une glacière. Là, les pochons sont empilés les uns sur les autres, le plastique est recouvert de condensation. Sa tristesse me hante encore, cette façon qu’elle avait de me parler la nuit dernière, d’exposer son passé, son présent, sa vie tout simplement. Elle n’a plus goût en rien, désintéressée de tout. Ses joues creusées, son cou impacté par la maigreur et ses clavicules apparentes me reviennent en mémoire. 

— Tu es dans la lune, Dorian. Les deux poches sont à tes pieds, fait remarquer Edgar d’un rire moqueur. 

Mon visage s’abaisse, observe le sol et remarque deux taches rouges représentant les deux contenants. Avec une étonnante flexibilité, je ramasse les deux paquets d’hémoglobine, les deux verres dans l’autre main. Les récipients claquent enfin contre le comptoir luisant avant de retrouver ma pleine lucidité. D’un coup de croc, j’ouvre les deux pochettes avant de les verser dans les deux shots normalement utilisés pour de la bière. Edgar commence à boire sans aucune retenue alors que je m’occupe encore d’autres choses : de Samuel en train de se prendre le chou avec un autre vampire. Un irrégulier, en plus. Mon corps contourne mécaniquement le comptoir, brûlant d’impatience. 

— Dégagez, vous me fatiguez, je grogne sans pondération. 

Ils s’arrêtent aussitôt, se sentant assénés. Les deux reculent d’un pas chacun, me regardant d’un air effaré.

— J’ai l’air de déconner là ? Dégagez tous autant que vous êtes ! 

Sérieux, pires que les humains, incapables de se tenir tranquille. Pour avoir l’esprit serein je dois tous les virés pour aujourd’hui, tout le monde m’énerve. Tous choqués, ils finissent par regagner la porte menant au rez-de-chaussée pour quitter les lieux. Je passe dans les dix pièces présentent au sous-sol avant de regagner toute la population au sang-froid vers la sortie. Une fois cela fait, je me sens déjà plus calme, toutes les présences se cassent une à une. 

— C’était violent, fait remarquer l’ex-militaire, son verre à la main, un coude dans le vide et l’autre posé sur le bar. 

— J’en ai ma claque de voir leurs sales tronches, j’ai l’impression de voir des gosses. On verra ce soir si je les laisse entrer, toute façon le cirque des nanas m’intéressait pas. 

— Tu deviens dingue de cette fille, c’est tout, se marre-t-il en avalant encore une gorgée. 

La banquette écarlate à ma gauche, le bar et ses tabourets à ma droite et les escaliers métalliques noires face à moi, derrire la méridienne me donnent envie de tout éclater. Il a raison, je deviens malade à cause d’une pauvre humaine pour laquelle je ressens une extrême pitié. Ses pensées sont noires, mon monde l’est aussi, comment ne pas être curieux de savoir qui se cache derrière son masque ? Se marier à vingt ans, quelle stupide idée elle a eu. Je me surprends à penser en mal, à vouloir la transformer, la débarrasser de sa prison qu’est la mucoviscidose. D’en faire mon Calice… 

Ce simple humain capable de retourner le cerveau d’un vampire, capable de le relever et de l’anéantir. Beaucoup de strigoi font cela par simple égoïsme, pour limiter leur victime, parce que le Calice donne de son sang volontairement. Mais cela fait des années que j’ai renoncé à l’hémoglobine à la veine, ça me rendait dingue aussi. Je ne peux faire ça qu’avec quelqu’un qui m’est cher, une humaine pour laquelle je donnerais ma vie. Je crois que je l’ai trouvé, je crois qu’il faut que j’apprennes encore à la connaitre, quitte à ne faire cela que la nuit au beau milieu d’ivrognes. J’espère seulement qu’elle ne prendra pas peur en découvrant cette part de moi en découvrant la fourmilière de vampire dans ce sous-sol. J’espère vainement, cela ne fait aucun doute. Elle partira en courant, effarouchée, elle ira se réfugier de son mari, tétanisée. 

Les dents serrées, j’observe la porte du rez-de-chaussée trois mètres au-dessus de nous. Je n’entends plus de bruit là-haut, ce qui veut dire que nous ne sommes plus que deux. Je laisse tout en l’état et me réfugie à nouveau derrière le comptoir avant de m’abaisser et de lever une poignée ronde en ferraille à mes pieds. Un autre étage en-dessous se trouve nos appartements, là où nous passons le reste du temps, Edgar et moi, lorsque nous ne sommes ni au rez-de-chaussée, ni ici. Cette fois, ce n’est pas un escalier en colimaçon qui s’y trouve mais un en bois vernis menant directement au salon. J’allume la lumière et descends bien avant Edgar. L’endroit est vieillot, quatre piliers de bois défraichis reposent ici et là, mettant en valeur l’ensemble bruni. Sur la table basse, deux verres d’alcool sont posés là, seuls depuis un moment déjà, mais c’est belle et bien l’odeur boisée qui prime sur tout le reste. 

Lamia : La Nuit Du Désespoir. {TERMINÉE}Kde žijí příběhy. Začni objevovat