Chapitre 04 - Tara ♔ : Mort d'inquiétude.

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« Le désespoir est une défaite anticipée. »

Cinq heures. C'est le temps que nous sommes restés dehors. Nous le sommes toujours, finalement, et mes poumons me remercient grandement. Il m'a laissé déballer tout ce que j'avais sur le cœur, mais j'en sais toujours aussi peu sur cet étrange personnage. Dorian... Un prénom qui lui va bien, c'est tout ce que je sais mais je vais me contenter de ça pour l'instant. Le but était de me ramener chez moi, et le programme a changé. C'est devenu une virée nocturne dans le centre de Glasgow. Les mains dans les poches, il progresse silencieusement à mes côtés, aussi discret qu'un chat. En partant du cœur de la ville, il ne faut pas plus de dix minutes pour regagner les alentours des pavillons de briques rouges. Parmi celle-ci, j'arrive à trouver la mienne et les pièces du rez-de-chaussée sont allumées. Mon cœur flanche lorsque je me rends compte que Max doit etre mort d'inquiétude depuis le temps. Je lui avais promis de rentrer rapidement, ce que vraisemblablement, je n'ai pas su faire. Muets comme deux tombes depuis que j'ai aperçu ma maison, nous arrivons devant la porte, et je n'ai pas le temps de frapper que Dorian le fait à ma place. Presque aussitôt, la porte s'ouvre, je me racle la gorge en découvrant le mécontentement de Maxwell en me voyant.

— Il est quatre heures du matin, Tara, grogne-t-il.

Son visage se redresse, parce que le barman est beaucoup plus grand que moi. Et de l'incompréhension, il passe à de la méfiance.

— Qui êtes-vous ?

— Patron du pub où j'ai rencontré votre femme. J'ai tenu à la raccompagner pour ne pas que certains de mes clients aient des mauvaises idées, si vous voyez ce que je veux dire, lui répond le grand brun aux yeux bleus et d'un calme olympien.

Max fronce les sourcils avant de le remercier froidement et de lui claquer la porte au nez une fois que mon corps s'est rangé à l'intérieur. Les bras à présents croisés sur son torse, il plante ses yeux dans les miens.

— C'était quoi, ça ?

Sa simple phrase me donne des frissons, j'ai déjà envie de verser toutes les larmes de mon corps d'avoir disparu aussi longtemps sans même avoir songé à lui une seule seconde.

— J'ai besoin d'une vie sociale, finalement, je peux pas rester enfermée jusqu'à la fin de mes jours. Je peux pas être la gentille fille qui écoute tout bonnement son mari en fermant sa gueule, je l'assène aussitôt.

Peut-être que j'y suis allée un peu fort, sur ce coup-là.

— Je ne fais pas ça pour t'enfermer et pour te contrôler, Tara, ce n'est pas mon but...

Son soupir est lent, long, lourd. Son souffle chaud se dépose sur mon visage avec une extrême douceur.

— Je fais ça pour te protéger, continue-t-il. Ces gens-là, dehors, ne sont pas tes amis, tu ne les connais pas. Je n'ai pas envie que les inconnus profitent de ta faiblesse, d'accord ? me demande-t-il rhétoriquement en fronçant légèrement les sourcils.

Je ne dis rien mais je n'en pense pas moins. Choisir ses fréquentations avec parcimonie, c'est ce qu'il m'a toujours rabâché, même lorsque j'étais encore une gosse. Bien évidemment que mes relations se compte sur les doigts d'une main, ça se résume à : lui, lui, lui et encore lui. Je ne sais pas, j'ai besoin de voir du monde, de changer d'air, bien que celui de la brasserie était pollué par le jeune barman. Et de toute façon, ça n'a pas duré longtemps, mon manque de discipline risque plus de me tuer que n'importe quoi sur cette Terre, c'est indéniable.

Il ne dort pas de la nuit, et finalement moi non plus, pour ne pas changer les bonnes habitudes. La lumière du salon est allumée depuis que je suis rentrée. Dès six heures, il commence à se préparer alors que je me languis dans le canapé. Il y a encore quelques mois, j'aurai été capable de m'endormir ici et là, sur le canapé ou debout dans la chambre, assise dans les toilettes ou un verre à la main. C'est la narcolepsie. Narco ne se guérit pas vraiment, j'avais des traitements aussi, un, plus précisément. Elle est apparue à mon adolescence chaotique rythmée par le stress. En temps normal, un deuil ou une dépression enclenche cette maladie, chez moi, elle a fait l'inverse. Il n'a suffi que d'une seule et unique nuit pour transformer ce cauchemar en une réalité déroutante, pour me couper toutes envies de sommeil. J'ai toujours été pointilleuse dans mes traitements malgré la peur de mourir qui se faisait de plus en plus grande, jusqu'à ce jour... Vingt-deux juin mille neuf cent quatre-vingt-dix...

Aujourd'hui, je n'ai plus peur de mourir.

Le regard dans le vide, je reprends peu à peu mes esprits lorsque j'entends Maxwell descendre des escaliers, lavé. Il se désinfecte les mains à l'aide du gel hydroalcoolique après avoir enfilé sa veste et récupéré sa mallette et à se pencher par-dessus mon épaule. Sans y faire attention, mon visage se tourne il m'embrasse avant de se relever.

— Il faudra que je reprenne du gel et du bain de bouche à la pharmacie avant de rentrer, ne m'attends pas pour faire à manger, je t'aiderais une fois arrivé.

Je me contente simplement de sourire, parce que je ne sais pas quoi dire. Il part enfin, et une fois la porte refermée derrière lui, c'est le néant. Comme dans des sables mouvants, mon corps s'enfonce encore dans le cuir du divan. Il faut vraiment que je me bouge, que je monte à l'étage. Je ne trouve pourtant pas la force de me lever, mes yeux piquent de fatigue, je les sens gonflés et imbibés de sang. Je comate malgré moi, parce que j'ai fermé l'œil seulement quinze minutes cette nuit. Je déteste ça, m'endormir, j'en fais des cauchemars. Ma paume tape contre l'accoudoir avant de me propulser en avant sur mes jambes faiblardes pour regagner l'étage. Tout en passant de la salle à l'entrée dans un silence imparable. Il fait à présent noir, mais les luminaires de la rue me suffisent pour m'aider à grimper les escaliers. Le son de mes pas est rythmé, presque entrainant. Face à moi : la porte de la salle de bain, à droite, celle de notre chambre et à gauche, celle de... Lana.

Au lieu d'enclencher la poignée d'en face, je me dirige robotiquement vers la pièce de gauche. Le cliquetis de l'interrupteur me donne déjà envie de fondre en larmes, la gorge nouée en huit. Sous la lumière artificielle sous-jacente, je redécouvre cet endroit gris orageux. Je ne voulais pas de rose, je ne voulais pas de bleu, je ne voulais ni du blanc, ni du noir. Finalement, on avait trouvé un juste milieu, un gris pas trop foncé. Son prénom est gravé en lettres fines au-dessus du landau blanc. Tout près, la table à langer nacrée n'a jamais servie. Une rangée de couches se trouve toujours dessus et les affaires encore en place dans les tiroirs et les placards formant le meuble. Un cheval à bascule en bois et un fauteuil se trouvent dans chaque coin supérieur de la pièce. Entre les deux se trouve la fenêtre, une vitre cachée par un rideau brodée au fil d'or par la mère de Maxwell.

Sans un mot, j'éteins la lumière enfermée dans une lanterne transparente en papier fin. La clarté s'estompe peu à peu pour replonger l'endroit dans les ténèbres, un endroit qui ne servira jamais. Je retourne sur mes pas et entre enfin dans la salle d'eau où je découvre la douche à ma droite face à un lavabo sur pied. Afin d'activer la chaudière, j'active le jet d'eau et referme la cabine pour me tourner vers le miroir de la pièce. Encore un miroir... J'aperçois mon corps jusqu'à la naissance de ma poitrine. Ce n'est qu'en retirant mes habits que je me rends vraiment compte de la minceur de ma peau, de la marque que forment mes clavicules de chaque cotés de mon cou. Le bruit ambiant de la douchette me pousse à quitter mon reflet et à pénétrer dans la cabine humide. L'eau commence à ruisseler le long de ma chair et répand sa chaleur tout autour de moi. Le visage levé, je laisse le fluide translucide progresser sur mon front, mes cheveux, mes yeux, mon nez et ma bouche.

L'ambiance est étouffante, et mon seul réflexe est d'ouvrir un peu la porte pour pouvoir respirer décemment. Toucher le verre me donne un électrochoc, un coup de mou dans le crâne. Pétrifiée, je reste là, le regard dans le vide. Je pars une énième fois en sanglots malgré l'étrange impression d'être observée depuis quelques secondes. Je m'étouffe dans mes propres larmes de désolation. Elles se confondent avec l'eau, avec ce qui est supposé me faire du bien. Je n'y arrive pas. Mon corps meurtri s'effondre à nouveau au beau milieu de la cabine. Le sol et la paroi sont froides, complètement gelés lorsque mon corps s'abat contre la cloison.

Lamia : La Nuit Du Désespoir. {TERMINÉE}Where stories live. Discover now